Alain Minc : "La Ve République est une pâte à modeler" - Reportage #cdanslair 13.07.2024

L'essayiste ne pardonne pas au président de la République cette décision de dissoudre l'Assemblée nationale. Il se demande même comment il pourra faire. - A.Minc: La Ve République a une grande vertu. C'est une pâte à modeler. On a connu la Ve République "Louis XIVe". On a connu la Ve République de cohabitation. Là, on nous fait un moment de Ve République parlementaire. Le moment difficile, c'est maintenant. Le droit de dissolution a disparu. Il faut passer cette année en cassant le moins de vaisselle possible. C'est ça, le devoir de Macron. C'est pour ça qu'il faut qu'il manoeuvre d'une manière telle qu'on ne dise pas qu'il pratique un déni de démocratie. Mélenchon a accrédité l'idée qu'ils ont gagné. Je pense qu'il faut faire la preuve démocratique qu'ils n'ont pas gagné. Macron devrait dire: "Si le NFP me présente un ou une candidate, je le nommerai Premier ministre à une condition, je veux son engagement qu'il demande la confiance de l'Assemblée." C'est extrêmement vicieux. Si le Premier ministre demande la confiance de l'Assemblée, il ne l'aura pas, mais au moins, vous aurez levé l'hypothèque. Le discours de Mélenchon sera levé. Après, il peut dire: "Je passe au 2e groupe de l'Assemblée". C'est comme par hasard le groupe Ensemble. Et il leur demande la même chose. Là, il y a une chance que le gouvernement du centre puisse se faire. Il y a une chance qu'avec le temps, les socialistes reprennent leur autonomie face aux insoumis. Je pense que les Français vont détester cette espèce d'agitation parlementaire dont nous avons perdu l'habitude. Tout ça est du pain béni pour madame Le Pen. Elle a gagné, dimanche dernier. Elle est débarrassée de Bardella, qui devait commencer à lui mordre un peu les mollets. Elle a eu une réussite considérable en termes de voix, de sièges, d'argent public dont elle va bénéficier. Elle va pouvoir faire un grand numéro d'antiparlementarisme sur le thème "Regardez, je ne participe pas de ces magouilles". Elle a énormément de cartes en main. Le macronisme était un astre mort le soir de sa réélection. Il a simplement accéléré gravement le rythme de mort de cet astre. Lui affaibli, son parti éclaté... On parle du groupe Ensemble. Mais il n'y a pas un groupe. Il y a maintenant une mosaïque de chapelles, de micro-chapelles. Macron est radioactif à l'Assemblée. Il ne s'en rend pas compte. Il n'y a que des gens qui ont été battus et qui lui en veulent, ou des gens qui ont été élus et qui disent qu'ils ont été élus en faisant abstraction du président. Il faut faire très attention. Si on n'a pas un débouché assez rapide de la crise, une unanimité va se faire à l'intérieur du jeu politique pour dire que c'est désormais le mandat du président qui est en cause. Je considère qu'il serait dramatique qu'il le cède aujourd'hui. S'il décidait de démissionner, son successeur ne pourrait pas dissoudre non plus. Il faut résoudre cette crise le plus vite possible. - M.Lauqué: Sur cette question de la démission, on a une interrogation: "Macron va-t-il tenir encore 3 ans avec les motions de censure et les dissolutions à répétition qui s'annoncent?" - J.Fourquet: Je pense qu'on peut apprendre de ses échecs et le président a payé cher cette décision qu'il a prise de manière totalement imprévue, un soir de défaite électorale pour son camp. Ensuite, sur la question de la démission éventuelle du président, si les assemblages envisageables ne se mettent pas en place à l'Assemblée, la pression, inexorablement, va monter. On entend déjà J.-L.Mélenchon, M.Le Pen. On va en entendre d'autres dire: "Le responsable de cette crise doit en tirer les conclusions." Vous parliez du texte et de l'esprit de la Constitution. Quand de Gaulle redonne la parole au peuple, car c'est ce que le président a dit, si son camp est désavoué, il tire des conclusions politiques et non pas juridiques de cette nouvelle situation politique et il s'en va. Mais là, on en a pris pour un an avec cette Assemblée. Je ne vois pas comment la pression ne peut pas monter de manière vertigineuse sur le président de la République. Surtout si, de surcroît, il dit à ses troupes qu'elles ne sont pas à la hauteur. Même le dernier carré de fidèles va finir par trouver que ça fait un peu beaucoup. - M.Lauqué: La destitution du président, c'est prévu dans la Constitution? Toutes ces possibilités sont-elles envisagées? - B.Morel: C'est prévu. L'article 68 permet de démettre un président. Mais les majorités pour y parvenir sont plus compliquées à obtenir que les majorités qui vous permettraient de modifier la Constitution pour supprimer la fonction de président de la République. Il y a 2 façons de faire démissionner un président. Il y a la façon Restauration dans les années 1830, ou refuser le budget. En 1920, ils ont rejeté tous les gouvernements. Une dissolution, c'est un décret de dissolution. Il fait disparaître votre Assemblée nationale. L'article 12, celui qui prévoit la dissolution, est extrêmement clair. On ne peut pas dissoudre l'Assemblée nationale moins d'un an avant une dernière dissolution. Mais ce décret, le Conseil constitutionnel s'est déclaré incompétent pour le contrôler, de même que le Conseil d'Etat. Un président nouvellement élu qui dirait qu'il ne se sent pas tenu par la décision du précédent président et qui voudrait dissoudre, aurait constitutionnellement tort. Mais personne ne pourrait vraiment l'en empêcher. On ouvrirait une nouvelle séquence. On jouerait la légitimité contre la légalité. C'est ce qu'a fait le général de Gaulle. C'est possible, mais ce serait un coup d'Etat institutionnel. - N.Saint-Cricq: Si on résonnait comme Alexandra, avec des gens positifs, constructifs, qui ont envie que ça se passe bien, qui s'oublient eux-mêmes... - A.Schwartzbrod: On peut rêver. - N.Saint-Cricq: Je suis totalement pour le rêve. Dans ce cas, on peut imaginer que la meilleure des choses serait d'avoir des majorités, d'environ 6 mois... Si L.Wauquiez, à la suite de l'écriture de son pacte, pouvait négocier... On pourrait imaginer ça. Après, on peut imaginer un moment de ras-le-bol d'E.Macron. Après, l'histoire, ce sera la preuve que les autres ont fauté. E.Macron n'avouera jamais que c'est lui qui a commencé à semer la zizanie. D'un coup, il pourrait dire: "Je jette l'éponge." Je ne crois pas que ce soit dans sa volonté. Mais on ne peut pas exclure... D'habitude, quand on élit un président, on dit qu'il lui faut une majorité. Après, on peut dire qu'on n'a pas de majorité et qu'il nous faut un président pour mettre les choses dans l'ordre. Ce serait étrange. Mais on en reviendrait à l'état des forces, c'est-à-dire être sur le perron et passer le pouvoir à M.Le Pen. G.Larcher ferait l'intérim. Tout ça, c'est en fonction des situations politiques

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