Barnier à Matignon : une occasion manquée pour le PS ? - François Hollande - C à Vous - 12/09/2024

Published: Sep 11, 2024 Duration: 00:16:19 Category: Entertainment

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Il y a pourtant une nouvelle illustration de ce que vous montrez dans votre livre, l'ambivalence de cette gauche autant attirée qu'effrayée par le pouvoir et toujours tentée par le "tout ou rien", la protestation plutôt que la gestion. "La gauche conçoit toujours l'alternance comme une rupture", selon vous. Est-ce qu'une partie de cette gauche n'a pas préféré une droite dure à une gauche pas assez pure, concernant B.Cazeneuve? - F.Hollande: Le livre est sur le rapport de la gauche avec le pouvoir depuis plus d'un siècle, l'affaire Dreyfus... Il y a toujours eu 2 gauches, dans l'histoire. Une gauche protestataire, incantatoire, radicale, et une gauche plus réformiste, qui a pris la forme du PS. Mais cette gauche n'a pu venir au pouvoir ces dernières années, comme historiquement au moment du cartel des gauches puis du Front populaire, parce qu'elle était unie. C'est toute la difficulté, être unie alors même qu'elle est profondément divisée. - P.Cohen: Unie et divisée. - F.Hollande: La gauche réformiste... Elle n'a pu gouverner que dans le cas de figure où la gauche réformiste était dominante par rapport... - A.-E.Lemoine: Etait plus forte que la gauche radicale. - F.Hollande: C'est l'exemple du Front populaire, le SFIO, L.Blum qui impose la direction du gouvernement... Même si le Parti communiste n'était à ce moment-là pas hostile... C'est F.Mitterrand, parce qu'il est plus fort face au PC et qu'il a pu, lors des élections présidentielles, faire la différence... Il a permis de gouverner... Si on revient à l'actualité la plus récente, presque la plus brûlante, est-ce que la gauche avait gagné les élections en juillet dernier? La réponse est non. Elle n'avait pas gagné. Elle avait le groupe, avec toutes ses composantes, le plus fort, près de 200 députés, mais elle n'avait pas la majorité. Si elle avait eu la majorité absolue... D'ailleurs, E.Macron n'aurait pas eu le choix. Il aurait été obligé d'appeler... Il n'avait pas le choix. Nous étions à ce moment-là dans une cohabitation. La gauche, pour gouverner, aurait pu dire qu'elle n'a pas le groupe le plus important mais qu'elle peut composer avec une partie de la majorité sortante. Elle ne l'a pas fait. Elle ne l'a pas voulu. L'aile la plus radicale ne le souhaitait pas. Elle souhaitait avoir une nomination qui n'est pas venue. - A.-E.Lemoine: Celle de L.Castets. - F.Hollande: Et donc pas de compromis. Ensuite, j'ai regretté que le président E.Macron n'appelle pas précisément la candidate du NFP, non pas parce qu'il était sûr qu'elle allait pouvoir gouverner, mais parce qu'il devait vérifier précisément si elle pouvait ou pas être censurée, ce qui aurait permis d'écarter... Le reproche qui est encore exprimé, c'est de dire que ça a été un déni de démocratie. Non, on aurait vérifié si elle avait ou non... - A.-E.Lemoine: Mais vous en connaissez le résultat par avance. - F.Hollande: Sans doute. Mais c'est plus important dans une démocratie parlementaire que ce soit l'Assemblée nationale qui décide plutôt que le président de la République qui fasse son choix. Dès lors que ça n'a pas été l'hypothèse retenue par le chef de l'Etat... On a passé un mois... - A.-E.Lemoine: 52 jours, je crois. - F.Hollande: Si on prend le début du processus... Jusqu'à ce qu'E.Macron fasse un choix... De nombreux noms ont été cités. Je pense qu'E.Macron ne voulait pas nommer B.Cazeneuve, mais il ne fallait lui donner aucun prétexte pour qu'il ne le fasse pas. Est-ce que B.Cazeneuve, s'il avait été nommé, aurait été un chef de gouvernement de la gauche? Non. Il n'aurait pas été forcément soutenu par toute la gauche et il n'aurait pas forcément été soutenu par toute la droite. Il aurait donc fait un gouvernement, j'imagine, dans l'esprit du front républicain, celui-là même qui s'était constitué entre les 2 tours... - A.-E.Lemoine: 5 millions d'électeurs. - F.Hollande: C'est pour ça que je fais un rappel historique. Il y a des circonstances assez exceptionnelles... C'était au moment de l'affaire Dreyfus. Il pouvait y avoir un gouvernement républicain avec une personnalité, et où le PS, la gauche, ne la soutenait pas forcément, mais laissait faire. - A.-E.Lemoine: On n'est pas dans ces circonstances. - F.Hollande: Ca aurait pu l'être. - A.-E.Lemoine: Mais vous êtes resté bien silencieux. Vous n'avez pas de regrets en voyant M.Barnier à Matignon? - F.Hollande: Par ma qualité d'ancien président, j'ai été reçu par le président Macron le lundi matin. B.Cazeneuve était invité. C'est mon ami. Nous conversons. Il a ce 1er rendez-vous. Nous apprenons qu'il y a d'autre rendez-vous tout à fait légitimes avec X.Bertrand et d'autres encore. Qu'est-ce que je dis au président de la République? "Je pense qu'il faut une personnalité politique." Courait l'idée qu'il y aurait quelqu'un qui aurait été nommé, comme le président du Cese... Qu'importe si c'était vrai ou pas... Je crois que c'était vrai. Je disais qu'il fallait une personnalité politique dans ce contexte exceptionnel. Je pense que B.Cazeneuve peut être cette personnalité. Je suis membre du groupe socialiste. Quelle que soit la position que peut prendre le PS, je peux assurer que la grande majorité des députés socialistes ne censureront jamais B.Cazeneuve. C'est un homme qui a gouverné sous ma présidence. Il est respecté. Il est de gauche, de centre gauche. - A.-E.Lemoine: Ce n'était pas une anomalie, comme l'a dit O.Faure. - F.Hollande: L'anomalie, c'est de parler comme si B.Cazeneuve n'était pas un homme de gauche. Il n'y avait pas de doute... C'est pour ça que je pense qu'E.Macron était parfaitement informé et qu'il ne fallait pas lui donner ce prétexte. La direction du PS aurait dû rester sur la position exprimée par les députés socialistes en disant qu'on poserait des conditions et qu'on verrait qui serait nommé et qu'on discuterait avec... C'est donc dommage. Même si le président ne voulait pas B.Cazeneuve, il ne fallait pas qu'il y ait de regrets. Mais nous n'en sommes plus là. Je connais monsieur M.Barnier. Il est respectable, mais quand même... Si on se reporte 2 mois en arrière, après les élections législatives, si j'avais fait votre émission et qu'on m'avait dit que M.Barnier allait être Premier ministre, j'aurais dit que ce n'était pas possible après ce qu'il s'est passé, à la fois avec le résultat de la gauche avec 200 députés, le front républicain... Les LR n'ont pas participé à ce front républicain. Les gens veulent plus de pouvoir d'achat. Il y a eu la réforme des retraites... On n'allait pas mettre un Premier ministre, aussi estimable soit-il, qui viendrait d'un groupe de 47 députés. - A.-E.Lemoine: Moins de 6 % des suffrages aux élections législatives. - F.Hollande: En plus, il tient pour sa durée de vie au RN. Nous savons qu'il y a eu des discussions avec des gens du RN... - P.Cohen: Il aurait peut-être fait comme B.Cazeneuve l'aurait fait. M.Barnier peut ne pas faire un gouvernement qui soit seulement de droite. - F.Hollande: Il fera non seulement un gouvernement de droite, puisque la droite demande à y rentrer... - P.Cohen: Il a parlé d'un gouvernement d'ouverture. - F.Hollande: D'ouverture à droite. Mais le pire, ce n'est pas encore ça. La droite fait partie de l'arc républicain. Mais il n'a dû sa nomination qu'au quitus de madame Le Pen. C'est ce qui est extrêmement troublant et choquant. Le front républicain... Ca ne veut pas dire qu'il faut mettre les électeurs du RN de côté. Un tiers des Français ont voté pour le RN, mais deux tiers ont dit qu'ils voulaient écarter le RN et trouver une solution. Aujourd'hui, la solution... - A.-E.Lemoine: C'est l'absence de compromis, le front des refus qui a fait basculer... - P.Cohen: Le pouvoir donné au RN vient du fait que la gauche, en bloc... - F.Hollande: Ce n'est pas vrai. Le groupe socialiste n'a pas dit qu'il refusait B.Cazeneuve. - P.Cohen: Non, M.Barnier. - F.Hollande: C'est difficile à dire à des gens qui ont été élus sur un programme du Nouveau Front populaire... "Vous allez soutenir un Premier ministre qui n'a pas été dans le front républicain, qui est accompagné par l'extrême droite et qui veut prendre des mesures plus à droite." - P.Cohen: Il ne s'agit pas de soutenir mais de refuser de censurer, ce qui permet une marge de compromis et de ne pas laisser toute latitude au RN de baisser le pouce et d'avoir un droit de vie ou de mort sur le gouvernement. - F.Hollande: Nous verrons dans les semaines qui viennent. Ce sera sur le contenu qu'il y aura censure ou pas. Que veut le RN? C'est son affaire. Ce que ne veut pas une grande majorité des Français, c'est qu'on aille encore plus loin dans des mesures qui peuvent affecter durement leurs conditions de vie, leur pouvoir d'achat, mettre en cause leur retraite, l'accès aux soins. Tout cela sera débattu à l'Assemblée nationale. C'est son rôle. - E.Tran Nguyen: Vous disiez que M.Barnier allait faire un gouvernement ouvert sur la droite. Ce n'est pas ce qu'il a dit ce matin en Savoie avant de rencontrer cet après-midi à Annecy sa famille politique. - M.Barnier: Je suis un montagnard. C'est un pas après l'autre, en faisant attention où on met les pieds. Je vais constituer le gouvernement la semaine prochaine avec des ministres sérieux et un gouvernement qui sera équilibré et représentatif pluriel de ma famille politique. J'en suis très heureux. Je vais retrouver à Annecy les sénateurs et les députés. J'ai des relations très amicales et cordiales avec le président Larcher, L.Wauquiez, B.Retailleau et tous les parlementaires qui vont être là. Chacun aura sa place. - E.Tran Nguyen: Equilibré, représentatif pluriel. Ce n'est pas un gouvernement seulement ouvert à droite. Il va demander aux gens à gauche... - F.Hollande: Il a tout dit, le "montagnard". L.Wauquiez... - P.Cohen: Ce sont des gens qu'il allait retrouver l'après-midi. - F.Hollande: Il demandait même que le gouvernement aille plus à droite que ce qu'avait fait le gouvernement précédent. C'est leur choix. On verra si ce gouvernement a gré aux Français. Mais même dans la gauche la plus ouverte, même la plus consciente de la circonstance que nous traversons, comprenez qu'elle soit plus que réservée, voire choquée. Je pense à une grande partie des électeurs qui ont voté pour des candidats LR ou des candidats de la majorité sortante pour éviter le RN, une politique plus à droite, et qui se retrouvent confrontés à ça. On verra bien jusqu'où va l'ouverture, mais pour l'instant, l'ouverture est du côté... On va avoir du RPR-UDF, comme à une époque. Là, ça va être la préhistoire. - A.-E.Lemoine: Est-ce que la gauche doit se préparer dès maintenant à la suite si ce gouvernement se révèle fragile et a une durée de vie limitée? - F.Hollande: La gauche doit, dans les textes présentés, essayer de les améliorer, corriger ce qui peut être corrigé. C'est le rôle d'une opposition. Ce n'est pas simplement de voter contre. Il s'agit de voir comment on pourrait faire autrement. Si des amendements sont acceptés, tant mieux. Ca permettra de corriger un certain nombre de directions. Deuxièmement, si ce gouvernement de M.Barnier doit tomber, parce que le RN en aura décidé, il ne faut pas attendre. Il faut se demander ce qu'on fera dans cette hypothèse. Est-ce qu'on refait le coup de la dernière fois? Est-ce qu'on dit que nous ne sommes pas majoritaires mais que nous demandons le gouvernement? On ne va pas refaire ce qui n'a pas fonctionné. - P.Cohen: Est-ce que le PS aurait un programme? Je ne le connais pas, aujourd'hui. - F.Hollande: Il a été élaboré. Ca va être dans un contexte différent, avec une politique différente. Il faut avoir des idées nouvelles. Ce qui est intéressant, c'est de se dire qu'il faut proposer une politique qui puisse non seulement agréer à la gauche... Mais ça ne suffit pas. Il faut permettre à des éléments de la majorité sortante, du bloc central, de s'y retrouver pour qu'il puisse y avoir à accélérer le calendrier électoral, de provoquer une élection soit législative, ce que M.Le Pen a déclaré, soit comme J.-L.Mélenchon, qui est plutôt sur une présidentielle anticipée. Je ne suis pas sur cette trajectoire. Il faut respecter les calendriers, les institutions. Je suis contre tout ce qui est procédure de destitution du président de la République. Ca ne peut pas aboutir. Ca affaiblit les institutions. Il faut travailler pour être prêts le moment venu à permettre une alternance... - A.-E.Lemoine: Et retenir les leçons, ce qui ne semble pas être la qualité principale de la gauche. - F.Hollande: Il faut que la gauche soit fière de ce qu'elle a fait... Ce livre est aussi l'histoire de tout ce qu'elle a pu permettre d'accomplir. - P.Cohen: Vous dites que la gauche oublie à chaque fois les leçons du passé. - F.Hollande: Si elle oublie d'abord de défendre ce qu'elle a fait... De J.Jaurès, Waldeck-Rousseau au début du XXe siècle... - A.-E.Lemoine: Jusqu'à vous... - F.Hollande: Jusqu'à moi, tout en disant ce qu'on n'a pas bien fait... Mais d'abord, de dire ce qui a été fait... Il n'y aurait pas la Sécurité sociale, le droit du travail tel qu'il est, les libertés publiques, les avancées dans la vie privée, les grandes libertés qui ont été accomplies... Il n'y aurait pas eu cette mutation économique de la France si la gauche n'avait pas participé au pouvoir. Le 1er devoir de la gauche, ce n'est pas de battre sa coulpe, de se diviser, mais de dire "voilà ce qu'on a fait, voilà ce qui a permis par nos changements à la République d'être ce qu'elle est et voilà ce que nous devons faire pour l'avenir". Je vais tirer cette leçon de la gauche... Souvent, on dit qu'il faut être plus à gauche. Mais quand on est plus à gauche, on a ce qu'il s'est produit. On est avec un gouvernement plus à droite. - A.-E.Lemoine: Vous êtes redevenu député en juillet. Un retour à l'Assemblée avant une éventuelle candidature en 2027? En respectant le calendrier électoral? - F.Hollande: Pourquoi toujours ramener... Vous m'auriez interrogé de savoir si j'étais candidat aux élections législatives alors que j'étais président, je vous aurais dit: "Quelle idée!" Là, c'est E.Macron qui a eu cette idée. Dissoudre l'Assemblée nationale comme il l'a fait après les élections européennes, qui ont montré qu'il y avait une menace de l'extrême droite, même s'il y avait un score appréciable de R.Glucksmann pour le PS, qui permettait peut-être de refonder pour la suite... Je me suis dit: "On ne peut pas laisser faire les choses." Ce n'est pas banal qu'un ancien président fasse une campagne, explique, aille au contact, comprenne ce qu'il se passait dans le pays... Je connais bien mon département de la Corrèze. Comment se fait-il qu'il y avait 30 % de personnes qui avaient voté pour l'extrême droite dans des endroits... - A.-E.Lemoine: Donc tout est possible?

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