Jean-Louis Borloo, bonjour Bonjour Merci de nous recevoir dans votre bureau. Vous deviez intervenir sur les conférences organisées à l'occasion des 20 ans d'Actu-Environnement. Vous avez été retenu à cause d'un problème personnel, néanmoins vous nous avez donné l'opportunité de venir ici aujourd'hui pour pouvoir creuser la question qui a été abordée jeudi dernier, à savoir qu'est-ce qui permettrait d'inscrire définitivement l'environnement au cœur des politiques publiques ? D'abord, tourner le cou aux idées reçues. L'idée selon laquelle le respect des ressources coûte plus cher est une idée absurde. Il y a eu un très beau rapport de Sir Stern, Britannique Prix Nobel, qui avait chiffré le coût de l'inaction. Donc cette idée que ça serait plus cher a priori est une idée folle. Il peut y avoir des points de passage où
quand vous installez une nouvelle technologie, ça peut être un tout petit peu plus cher au
début. Je vous donne un exemple : les panneaux solaires il y a 20 ans étaient 10 fois plus cher qu'aujourd'hui. Donc il y a 20 ans, il fallait une action volontariste pour qu'il y ait un marché, pour que ça soit industrialisé, donc les tarifs de rachat étaient élevés. Il peut y avoir des moments... mais
fondamentalement, arrêtons de considérer qu'un produit respectueux des ressources naturelles ou une démarche respectueuse est plus ruineuse. Effectivement, lors de la conférence, Barbara
Pompili évoquait le fait qu'on aurait besoin d'une loi de programmation pluriannuelle sur les investissements pour la croissance verte, pour la transition écologique, d'une part. Brune Poirson renchérissait sur l'outil fiscalité. À l'époque, vous aviez plaidé, dans la foulée du Grenelle de l'environnement, pour qu'on mette en œuvre un Grenelle de la fiscalité. Est-ce qu'aujourd'hui ce sont deux leviers puissants qui manquent par rapport à ce que vous évoquiez, c'est-à-dire passer ce point dur pour investir dans les technologies vertes ? Oui, enfin... Il faut se méfier des mots. Moi, je crois au signal prix. Je vous donne un exemple de signal prix. Moi, je suis convaincu que le monde ne s'en sortira qu'en revenant sur la proximité. Prenez les centrales d'achat des hypermarchés. Ils ne sont pas très nombreux... On fait un bonus-malus. On dit : « Voilà, le 1er janvier, vos produits au
total, ils ont fait tant de milliards de kilomètres », Et on va regarder à la fin de l'année... Si vous êtes 10, les 5 plus vertueux qui auront effondré les kilomètres parcourus, donc le CO2, donc la non-saisonnalité, etc. Paieront à malus à ceux qui ont le plus effondré la
fiscalité. Non seulement cela aura un impact sur eux, mais surtout les acheteurs vont regarder. Qu'est-ce qui a fait le succès du bonus-malus écologique voiture ? Ce n'était pas le chiffre. C'est que les mamans et les jeunes enfants accompagnaient leurs pères acheter la bagnole et regardaient s'il y avait un bonus ou un malus. La dimension heureuse et morale de cette affaire est aussi vertueuse que le signal prix lui-même. En 20 ans, on a eu beaucoup de lois environnementales, strictement environnementales ou qui embrassaient les problématiques environnementales : je pense à la loi Alur, à loi Notre, etc. Le Grenelle, la loi de transition énergétique, la loi de biodiversité, la loi Climat et résilience… On en passe et des meilleures... On a eu la Convention citoyenne... Qu'est-ce qui fait qu'alors qu'on a essayé autant de modes d'instauration de l'environnement dans les politiques publiques, pourquoi est-ce qu'on n'y est toujours pas arrivé ? Pourquoi est-ce qu'aujourd'hui on est encore si loin du but ? On voit bien que c'est comme un système à réaction. Vous faites quelque chose, il se passe quelque
chose, et puis après, ça part dans les sables mouvants. Le sujet, c'est le suivi. Il n'y a aucune action publique raisonnablement construite qui n'exigent pas une durée d'action de 10 ans ou de 20 ans. Ça n'existe pas. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas ? Ce n'est pas le cas. C'est pour ça qu'au moment
du Grenelle, il y avait un rapport. Tous les trimestres, il y avait une réunion de suivi
de tous les engagements, un rapport qui était fait annuellement, mesure par mesure, présidé par les présidents des groupes de travail, mais avec une équipe externe à l'État, c'était le cabinet Ernst & Young. C'était très chiffré. Voilà la mesure tant, la mesure machin... Voilà, où on en est, voilà les difficultés... Ça, c'est engagé, ça il faut réorienter... Si vous n'avez pas le suivi, comment vous faites pour avoir une politique énergétique ? Alors ce suivi du Grenelle s'est arrêté en
2010, quand vous avez quitté le ministère… Oui, peut-être un an après, je ne sais pas... Alors pour que ceci ne se reproduise plus finalement et que les suivis survivent à leur ministre, qu'est-ce qu'il faut faire ? Il faut confier ça aux administrations sur une mission au long cours sur plusieurs décennies ? Toute façon, je rappelle que ce rapport de suivi et d'évaluation était dans la loi. Moi, je sais que s'il n'y a pas d'évaluation publique... Les agendas sont comme ça, les préoccupations, l'effet médiatique sur autre chose... Et en plus, ça permet de maintenir une pression saine
parce que tout le monde a envie de contribuer et d'être un héros. Je connais personne qui se lève en se disant « Je vais être un sale type, je vais saccager la planète ». Simplement, on n'y pense pas, c'est tout. Et donc l'intérêt de ça, c'est que c'est public : il y a un rapport et puis, c'est vachement joyeux de dire « là, on s'est trompé, on va rectifier ». Mais là vous allez prévu apparemment d'après ce que vous dites le suivi qui aurait intégré dans la loi elle-même et ça n'a pas été appliqué au-delà de 2010. Ça, c'est tout le drame des... On ne sait pas sacraliser l'action publique longue. Moi, je rêve d'un pays où quand un gouvernement change, pendant 6 mois, le ou la ministre qui arrive travaille avec son prédécesseur. Il y a des choses qui peuvent faire l'objet de vision différente, mais quand la nation s'est mis d'accord, je dis
pas sur tous les sujets... Quand la nation s'est mise d'accord, pour quelle raison on ne poursuit pas ? Quitte à faire évoluer, parce que ce n'est pas figé. Le principe de l'évaluation et du suivi, c'est que
ce n'est pas figé. Donc la méthode, c'est d'assurer le suivi sur le long terme ? La méthode en amont, c'est la nation qui se met d'accord. Et là, il faut accepter qu'il y ait des corps représentatifs. Il faut accepter que les ONG représentent un regard sur la société, et d'ailleurs entre les ONG, ce n'est pas le même. L'agriculture n'est pas homogène, sur les pesticides et sur un certain nombre de choses, lLes représentations syndicales qui gèrent
quand même... le paritarisme, c'est près de 500 milliards, c'est-à-dire une fois et demi le budget de l'État, donc ce sont des parties prenantes. Les collectivités territoriales, régions, départements… Et puis, il y a le collège d'État, c'est normal. Et de cette base-là, seuls le suivi et l'adaptation permanente. Le point de départ, ça peut être tout
ce que vous avez dit qui a été essayé. Ça autre ou autre chose... Moi, je ne privilégie pas tel ou tel. Je connais bien celle-là et celle-là, je peux vous en parler savamment. Mais prenez la loi d'économie circulaire piloté pour le gouvernement par Brune Poirson, je ne sais pas qui se préoccupe du suivi de cette loi, qui par ailleurs avait des tas de choses très bien. Je pense que c'est tellement complexe, biodiversité, transports, énergie, logement, urbanisme... Que ces matières mériteraient d'être sorties du calendrier électoral et parlementaire. Je ne dis pas qu'il ne faut pas qu'il y ait des ministres correspondant au gouvernement, mais il faudrait une espèce d'instance, on a bien un Conseil constitutionnel, il faudrait qu'il y ait une instance... Un Conseil de suivi des mesures environnementales ? Oui, mais qui soit de rang constitutionnel, de façon à ce qu'on ait une durée de 10 ans, de 15 ans et on s'adapte, et on modifie, et on change. Ce qui n'empêchera pas l'exercice démocratique de l'instant, mais il faut une permanence. Jean-Louis Borloo, merci beaucoup pour cet éclairage.