En 2024,
pour la première fois de son histoire, le
Rassemblement national arrive en tête des élections
législatives. L'alternance est
à portée de main. Pourtant, 50 ans plus tôt,
ce parti dépassait à peine 1% des voix. Et depuis,
le fond de son programme n'a pas vraiment changé. Préférer les Français
aux immigrés. Je vais vous parler de
priorité nationale. Les Français
seront prioritaires et nous instaurerons,
dans la Constitution, la priorité nationale. Alors, que s'est-il passé ? Dans sa conquête du pouvoir,
le Rassemblement national a pu s'appuyer sur
4 ingrédients. Voici la recette
qui a permis le succès de l'extrême droite française. Le premier ingrédient, c'est
une stratégie redoutable, imaginée dans les années 70 :
la normalisation. À l'époque, le parti s'appelle
"Front national" et il enchaîne les défaites. Le mouvement d'extrême droite,
fondé par des militants néofascistes, doit résoudre
une équation complexe : comment se différencier
des partis classiques tout en restant une option
crédible ? Pour la crédibilité, ils
recrutent Jean-Marie Le Pen. Il a déjà été député
sous une autre étiquette et incarne une version
présentable de leur projet. Des millions de Français
pensent ce que nous pensons sur l'immigration, sur
le chômage et sur un ensemble de problèmes comme ceux-là. Le Pen doit normaliser
les idées d'extrême droite, mais lors de ses premières
campagnes, ça ne suffit pas à le différencier. Alors, le parti
propose un nouveau slogan. 1 million de chômeurs,
c'est 1 million d'immigrés en trop. Ce slogan est
imaginé par cet homme. Il s'appelle François Duprat. C'est un néofasciste
antisémite et le numéro 2 du FN. Il est convaincu
qu'en se concentrant sur la dimension sociale
de l'immigration, il y a un coup à jouer. Son idée,
c'est que les partis de droite reprendront ce thème
comme quoi, il faut avoir une préférence nationale
en matière d'emploi, et c'est ce qu'il écrit : "À partir
de ce moment-là, on ne pourra plus nous dire que nous sommes
des fascistes, des débris de la collaboration. Nous serons un parti légitime
à participer au pouvoir." Dans les années qui suivent,
ce slogan permet au FN de remporter
quelques victoires locales. Et en 1984,
il réussit une première percée aux élections européennes. Mais attention,
cette victoire n'aurait pas été possible
sans un autre ingrédient : le contexte était
particulièrement favorable. François Mitterrand est élu
président de la République : 51,7%. En 1981,
la gauche gagne la présidentielle. C'est un traumatisme pour
certains électeurs de droite. Le communisme,
c'est le chaos en France. C'est un régime policier. C'est la négation
de l'économie. 3 ans plus tard,
ils punissent leur parti en se reportant sur Le Pen. Et en 1986,
grâce au mode de scrutin proportionnel
institué par la gauche de François Mitterrand,
35 députés du Front national entrent à l'Assemblée. Ensuite, la
tension monte sur la question de l'immigration. Les fermetures d'usines
font bondir le chômage. Le racisme se répand dans
de nombreux pays d'Europe. Et en France, les violences
d'extrême droite contre les Maghrébins explosent. On entend maintenant souvent
parler d'immigrés attaqués, de ratonnades. Ils sont sales. Ils sont bruyants. Ils dévastent tout. En parallèle de ce
contexte favorable, Jean-Marie Le Pen réussit une
percée sur un autre front : il s'invite dans les médias. En 1984,
il participe à "L'Heure de vérité",
une émission très populaire du service public. Cette invitation, vous le
savez, ne fait pas plaisir à tout le monde. Pour la première fois,
Le Pen s'exprime librement devant
des millions de Français et il en profite
pour se faire remarquer. Je voudrais, moi aussi,
me lever à mon tour pour tenir une minute
de silence en mémoire de tous ceux qui sont tombés
sous la dictature communiste, dans les camps et au goulag. Je continue
à poser mes questions, si vous le voulez bien. C'est son premier coup
d'éclat médiatique. Au lendemain de cette première
"Heure de vérité", il y a des centaines
de personnes qui attendent devant le siège
du Front national pour adhérer à ce parti. Donc là, le Front
national va commencer à prendre de l'ampleur. Pendant 20 ans,
ces 3 ingrédients permettent au FN d'enchaîner
les succès électoraux. Mais quand on regarde
de plus près, le parti progresse difficilement. Ses scores ne décollent pas
et un plafond de verre semble s'installer. Alors, dans les années 90,
Le Pen ajuste son programme. Il le rend plus
social pour capter de nouveaux électeurs,
notamment ceux des classes populaires
déçues par la gauche. Il n'y a pas de programme
plus social que le mien puisque je propose
de préférer les Français aux immigrés. Mais tous ces efforts ne font
pas oublier la principale cause de ce plafond. En 1987,
à la radio, il dit ceci : "Je ne dis
pas que les chambres à gaz n'ont pas existé, mais
je crois que c'est un point de détail de l'histoire de
la Deuxième Guerre mondiale." Cette déclaration
diabolise Le Pen pendant de nombreuses années. Certes, il se différencie,
mais il perd aussi en crédibilité. Pourtant, malgré
ses nombreux dérapages... Il est 20h. En tête, Jacques Chirac :
20% des voix. Énorme surprise,
Jean-Marie Le Pen semble devoir être le second. Nous sommes tous
des enfants d'immigrés ! Première, deuxième,
troisième génération ! En 2002, Le Pen
accède au second tour de l'élection présidentielle. À première vue,
c'est plutôt un succès. Mais quand on observe
le détail de son score, il ne progresse que
de 2 points par rapport à la dernière édition. Et entre les 2
tours, il ne parvient pas à rassembler. C'est un vrai déclic
pour le Front national. Comment va-t-il faire
pour s'imposer, surtout avec ce président ? Après 2002,
le FN s'écroule. À force de vouloir
se différencier, son leader
a perdu en crédibilité. Pourtant, dans
les années qui suivent, la tendance s'inverse
et le plafond de verre éclate. Pour le comprendre,
il faut s'intéresser au dernier ingrédient :
les calculs politiques. - Hein ?
- Vous en avez assez, hein ? Vous en avez assez de cette
bande de racailles ? On va vous en débarrasser. À la présidentielle de 2007,
Nicolas Sarkozy, le candidat de la droite traditionnelle,
fait campagne sur des thèmes très similaires à ceux du FN. Je veux un ministère de
l'Immigration nationale et de l'Identité nationale. D'ailleurs, s'il y en a que ça
gêne d'être en France... Ce calcul
politique est payant. Sarkozy récupère
des électeurs de Le Pen, mais sur le long terme,
sa stratégie sert surtout le Front national. Quand vous allez sur l'offre
politique de quelqu'un d'autre, vous le
fortifiez, vous ne lui piquez pas ses voix. C'est comme ça que M. Sarkozy
a ressuscité le Front national dans sa campagne de 2012. Immigration,
sécurité, Europe passoire : il a martelé ses
thèmes fétiches. Progressivement, les thèmes
du FN s'imposent dans le débat public. Le parti est bien différencié
et peut se concentrer sur sa crédibilité. Il commence par remplacer
Le Pen par sa fille, Marine : moins clivante,
mais toujours Le Pen. La bataille de France ne fait
que commencer. Cette stratégie est payante. Depuis 2007,
son score ne cesse de progresser, quand le parti
de Nicolas Sarkozy, lui, ne cesse de s'affaiblir. À 2 reprises, Marine Le Pen
se qualifie pour la finale de la présidentielle. Ses scores sont nettement
supérieurs à 2002, mais une majeure partie de l'opinion
ne la considère toujours pas crédible pour gouverner. Alors, le FN
va mobiliser tous les ingrédients de son succès
pour inverser la tendance. Il continue d'abord
sa normalisation. Le Front devient
Rassemblement national et change à nouveau de leader. Cette fois, plus de Le Pen. Et l'âge de Jordan
Bardella le distingue de l'histoire du parti. J'entends continuer
à normaliser le Rassemblement national. Ensuite, il y a
le contexte. En Europe, les
crises économiques, internationales,
les attentats et un sentiment de fatigue
démocratique permettent à l'extrême droite de percer
dans de nombreux pays. On sent qu'il y a
un chamboulement sociétal dû à un contexte politique,
historique, économique et que c'est un parti
d'extrême droite qui est totalement normalisé. Et puis, il y a les médias. Depuis 1984,
de nombreuses chaînes ont fait leur apparition
et certaines émissions épousent largement
les thèses du FN. Je vais poser
toutes les questions. Il y a beaucoup d'immigration
en ce moment... Mais tous ces ingrédients
vont une fois de plus être renforcés par
des calculs politiques. Durant la campagne des
européennes en 2024, le camp d'Emmanuel Macron
installe un duel avec le Rassemblement national. Les autres candidats
sont effacés et Jordan Bardella
est présenté comme le seul interlocuteur légitime. Ce sont un projet et un bilan
qui vont se faire face. Il était
une alternative. Le débat tel qu'il s'est
structuré à partir de 2017, du choix fait par la majorité
présidentielle à ce moment-là, a bien été de le présenter
comme une alternance. Nos compatriotes ont exprimé,
ce soir, une volonté de changement. Le 9 juin 2024,
le Rassemblement national remporte largement
les élections européennes. Je dissous donc, ce soir,
l'Assemblée nationale. Un mois plus tard,
il arrive en tête des élections législatives. Nous sommes prêts à redresser
le pays, prêts à faire revivre la France. La stratégie
de François Duprat a fini par atteindre son objectif. En 50 ans,
les thématiques xénophobes du Front national
se sont imposées dans l'espace public. Des millions de Français
pensent ce que nous pensons sur l'immigration, sur
le chômage et sur un ensemble de problèmes comme ceux-là. En 1978,
il écrivait d'ailleurs ceci : "L'électeur préfère toujours
l'original à la copie." Et il a suffi de
ces 4 ingrédients pour que ça fonctionne.