Pierre Moscovici : "L'ignorance de la dette est une faute politique majeure." - Reportage 18.07.2024

d'avoir une motion de censure votée par 289 députés contre le gouvernement, c'est-à-dire une motion de censure qui additionne le RN et les alliés d'E.Ciotti, et qui... Les motions de censure feront 210 voix, pas plus. - C.Roux: C'est peut-être le seul compte à rebours qui est enclenché: celui du budget. Il faudra, quoi qu'il arrive, voter un budget en octobre car les turpitudes de l'Assemblée ne changent rien à leur urgence de prendre des décisions et de rétablir peut-être l'équilibre. Nous avons rencontré P.Moscovici, le président de la Cour des comptes. - P.Moscovici: L'ignorance de la dette est une faute politique majeure. Que vous soyez de droite, de gauche, quel que soit votre programme, n'ignorez pas la question de la dette publique. Il est impossible de conduire un programme politique quelconque qui puisse rendre service à nos concitoyens avec une dette publique qui continue d'augmenter jusqu'à 3600 milliards d'euros. Tout ce que vous voulez, si vous avez une telle charge de la dette... La principale source, c'est la dépense publique. Nous avons aussi le taux de dépense publique le plus élevé d'Europe. On parle de dépenses de santé. Elles croissent considérablement depuis des années. Je pense qu'elles peuvent être gérées mieux pour moins cher, sans dégrader la qualité des soins pour les Français. Il n'y a pas de tabou non plus. Le seul tabou, c'est la justice. On peut dépenser mieux sans toucher davantage ceux qui en ont le plus besoin. C'est pourquoi je suis hostile à toute politique d'austérité. L'austérité, ça affaiblit l'Etat et paupérise les services publics. Ca mécontente le citoyen. Quand, dans la même semaine, la Commission européenne, le FMI, nous rappellent que nous avons des ajustements à faire, alors nous devons être conscients que notre crédibilité est en jeu et répondre non pas à une discipline qui vient de l'étranger, mais à un problème de crédibilité. Je suis inquiet, mais je ne suis pas alarmiste. Je ne dis pas que nous sommes un Etat en faillite, comme le disait F.Fillon. Le prochain gouvernement, quelle que soit sa composition, l'une des premières tâches qu'il devra affronter, c'est d'aller négocier à Bruxelles, à la Commission européenne, un plan de moyen terme, parce que ce sont nos règles communes. La 2e chose à faire, c'est préparer, et vite, parce qu'il faut le présenter d'ici début octobre, un projet de loi de finances. Il faut un projet de loi de finances pour la Sécurité sociale qui tienne la route. Il doit répondre aux grandes aspirations des Français qui permettent de financer les services publics, mais il faudra aussi entamer la voie du désendettement. Il y aura beaucoup de travail. - C.Roux: Il a fixé un cadre clair, pour le coup, le président de la Cour des comptes. - C.Barbier: Il a beau dire qu'il n'est pas alarmiste, il est assez glaçant. Il avait la reproduction de l'Ours blanc Pompon sur son bureau. Ca s'impose à tous les participants. Ca donne 2 impératifs. Il y a un impératif de révision de tous les programmes. Au Front populaire, à la droite extrême ou en Macronie, ceux qui ont promis un peu tout devront arrondir les angles. Le 2e impératif est de s'entendre à l'Assemblée nationale. Ce budget n'entraîne pas par un 49-3 inévitable, une motion de censure qui ferait tomber le gouvernement et le budget. Le budget 2024 ne peut pas être adapté à la crise qui nous attend et aux exigences internationales. C'est embêtant. Ca pourrait faire un ministre de gouvernement technique si personne ne veut faire le boulot. - C.Roux: On ne lui a pas posé la question. Question. Ce gouvernement provisoire peut-il faire une proposition de budget? - J.-P.Derosier: C'est obligatoire. - L.Hausalter: Il faut un budget sur la table le premier mardi d'octobre. C'est prévu comme ça par les textes. - J.-P.Derosier: Il est en train de le faire. - C.Roux: S'il y a un exercice qui est éminemment politique, c'est le budget. Quel budget peut satisfaire le Nouveau Front populaire et les LR? Certains veulent une rigueur budgétaire. D'autres veulent le Smic à 1600 euros. Comment est-ce possible? - S.Quéméner: Les données ont été posées sur la table par B.Le Maire. Il y a à la fois les économies qu'il a fallu faire pour 2024 mais il a déjà annoncé 20 milliards pour 2025. On voit qu'on s'achemine doucement vers un budget très dur. Il faut couper dans les dépenses publiques. Cette question a occupé une partie de 2024. Il y a eu les annonces de 10 milliards d'économies supplémentaires en février. B.Le Maire a repris la parole la semaine dernière pour dire: "On va devoir geler 5 milliards de crédits dans les ministères." Il faut faire un budget pour 2025 encore plus dur. Personne n'aura envie d'endosser ces mauvaises nouvelles. Dans le débat tel qu'il a été posé pendant ces législatives, ce n'était pas vraiment le sujet. La question, c'était le pouvoir d'achat des Français... On n'a pas trouvé de solution évidente dans le programme des uns et des autres pour le déficit. Si on fait la continuité de ce qui a été fait, c'est la continuité de quoi? Le "quoi qu'il en coûte"? Le bouclier énergétique? C'est ce qui s'est passé entre 2022 et 2024, qui n'est pas facilement lisible... C'est un grand saut dans le vide, cette question du budget. Ce sera la première question. Elle oriente tout. Si on pousse le raisonnement jusqu'au bout, qui aura envie d'aller à Matignon sans avoir les marges de manoeuvre nécessaires? - C.Roux: Nous avons une question raccord avec ce que vous dites. Vous voulez répondre? - J.-P.Derosier: Je ne le suis pas, en tout cas. - C.Roux: Sur la gestion et le rendez-vous du budget? - J.-P.Derosier: Le rendez-vous du budget est primordial et indispensable. Il y a des moyens constitutionnels. Il n'y en a qu'un qui permette de passer outre l'absence de vote du Parlement. C'est prévu par l'article 47-3 de la Constitution. C'est dans l'hypothèse où le Parlement ne se prononce pas. Ca ne veut pas dire approuver. S'il se prononce en rejetant, il s'est prononcé. S'il ne se prononce pas, si les délais font qu'il n'arrive pas au vote... C'est comme ce qu'on avait vu sur la loi de la réforme des retraites. C'était une loi budgétaire puisqu'on est passé par la loi de financement. L'Assemblée nationale ne s'était pas prononcée. Pareil avec le budget ordinaire. Si le Parlement ne se prononce pas, si l'Assemblée ne se prononce pas... Le budget est mis en oeuvre par ordonnances. Si le Parlement se prononce, s'il rejette, on est coincés. Pourquoi? Il y a d'autres mécanismes, mais qui imposent que le Parlement se prononce. Au moins, la partie recettes doit être votée. Dans l'hypothèse alarmiste, catastrophiste, où le Parlement s'est prononcé pour rejeter... Il y aurait une motion de censure et pas de budget... On est dans l'interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics avec des menaces graves sur la sécurité de l'Etat. Plus de budget, plus de défense, plus de police, plus rien. Ca réunit les conditions d'un article de la Constitution qui confère les pleins pouvoirs au président de la République, l'article 16. - C.Roux: Ca peut fonctionner sur la partie budgétaire? - J.-P.Derosier: Non, oui... Ca permet au président de prendre toutes les mesures. - C.Roux: Y compris de faire passer le budget? - J.-P.Derosier: Oui. A titre personnel, je ne crois pas que l'article 16 sera activé. Pourquoi? La menace de dire: "Si vous ne votez pas un budget dans les temps, je vais activer l'article 16... J'aurai des pouvoirs budgétaires et les autres pouvoirs."

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