son enfance son univers son Jacaranda chapitre 1 1994 la guerre j'ignore pourquoi répondu la guerre quand Sophie la déléguée qui préparait ma défense au conseil de classe m'a demandé pour quelle raison mes résultats du dernier trimestre était si catastrophique elle a insisté la guerre j'ai répété oui la guerre je n'allais quand même pas avouer que je n'avais rien foutu que j'étais un tirau flan qui passait son temps à révasser et à écouter du rock il fallait trouver une explication convaincante impossible à vérifier et qui puisse émouvoir le conseil de classe j'aurais pu prendre l'excuse de la maladie grave du cancer ou de l'insuffisance cardiaque mais il aurait fallu fournir des justificatifs médicaux ou raconter que mes parents s'étaient récemment séparés mais c'était le cas de la moitié des élèves du bahu et ça ne les empêchait pas d'avoir des notes convenables alors sans trop réfléchir j'ai dit que c'était à cause de la guerre dans le pays de ma mère je n'en revenais pas d'inventer un mensonge pareil mais plus j'y pensais et plus je trouver cette histoire crédible aux infos on parlait de ce conflit depuis des semaines avec des images choquantes qui hantaient l'esprit même s'il s'agissait d'événements lointains dans un pays inconnu tout le monde à ce moment-là voyait à peu près de quoi il retournait j'ai sorti le grand jeu j'ai tout inventé les atrocités de la guerre le chagrin de ma mère les cauchemars de mon père ma difficulté à me concentrer et à étudier sereinement j'ai su que mon mensonge fonctionnait parce que Sophie é les larmes aux yeux lors du conseil de classe elle a si bien plaidé ma cause reprenant avec émotion mes arguments que les enseignants bouleversés ont décidé d'attendre avant de statuer sur mon sort je n'avais pas imaginé que le collège convoquerait mes parents j'étais pris à mon propre piège dans le bureau du directeur assis entre mon père et ma mère la tête baissée pendant que le professeur principal relisait à voix haute les propos de la déléguée je fixais mon pied qui s'agitait frénétiquement sous la table en sortant du rendez-vous alors que nous étions encore dans l'enceinte du collège mon père m'a passé un savon humiliant devant un groupe d'élèves hilard mais le plus dur à encaisser a été le silence de ma mère son silence de toujours elle s'est contenté de me dévisager durant d'interminables secondes un regard plein de mépris qui m'a donné envie de disparaître à jamais durant plusieurs jours elle ne m'a pas adressé la parole mon bulletin est arrivé la semaine suivante dans la case observation le principal avait écrit un cinglant quand le mensonge fait sur faceace la confiance coule sans surprise je redoublai ma 6e c'est ce printemps-là que le Rwanda s'est invité dans nos vies pour la première fois ma mère n'en avait jamais parlé pour elle son existence avait commencé en 1973 lors de son arrivée en France elle ne faisait pas d'allusion à sa famille ne disait rien de son enfance ne possédait aucune photo de sa jeunesse là-bas petit j'avais certainement dû lui demander où se trouvait son pays ses parents mes grands-parents que je ne connaissais pas je ne me souviens plus de ses réponses le passé de ma mère était une porte close d'ailleurs elle n'écoutait pas de musique randaise ne cuisinait pas de plat de là-bas et ne m'avait pas chanté de berceuse dans sa langue maternelle chez nous pas le moindre objet exotique et aucune connaissance randaise ne venait jamais nous rendre visite dans mon esprit nous étions une famille française banale bien sûr ma mère ne pouvait pas dissimuler sa couleur de peau et il arrivait régulièrement que des questions insistantes des réflexions anodines ou des sous-entendus tendancieux la renvoie à ce pays lointain qu'elle n'évoquait ni ne revendiquait mais elle ne relevait pas c'était anecdotique je n'ai pas le souvenir de l'avoir entendu une seule fois se plaindre de sa condition ou dénoncer un quelconque racisme ce qui surprenait le plus c'était son français sans accent les gens s'en étonnaient la félicité quand ils apprenaient qu'elle n'était pas née ici la seule faute qui lui arrivait parfois de commettre était une étrange confusion entre le masculin et le féminin ou quand elle était fatiguée M