Paris 2024 : à quel point faut-il être une femme pour participer aux JO ?

Published: Jul 31, 2024 Duration: 00:09:03 Category: News & Politics

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Ça, c'est le podium du 800 m aux Jeux olympiques de Rio en 2016. La Sud-Africaine Caster Semenya, la Kényane Margaret Wambui et la Burundaise Francine Niyonsaba. 8 ans plus tard, aucune de 3 trois athlètes n'a le droit de courir le 800 m aux JO de Paris 2024. Pourquoi ces interdictions ? Parce que ces athlètes ont un taux de testostérone trop élevé. Et la Fédération internationale d'athlétisme considère qu'elles ne peuvent pas concourir dans la catégorie femmes. Pourtant, ce sont des femmes personnellement, socialement et administrativement. Alors pourquoi ne peuvent-elles pas participer ? À quel point faut-il prouver qu'on est une femme pour courir aux JO ? En cherchant d'où viennent ces restrictions, j'ai découvert que dans l'histoire du sport, le contrôle des corps des athlètes a pu aller très loin, comme à Budapest en 1966. Toutes les femmes qui veulent participer à ces championnats d'Europe de Budapest doivent se présenter nues devant 3 médecins, experts, gynécologues et montrer leurs organes génitaux. Elle, c'est Anaïs Bohuon, historienne et sociologue du sport, du genre et du corps. C'est d'une violence inouïe. Alors, comment en est-on arrivé là ? Revenons quelques années plus tôt. À sa création, la catégorie femmes repose sur un principe simple : les femmes n'ont pas le niveau pour courir avec les hommes. Et c'est un principe assez réaliste puisque les femmes ont eu beaucoup, beaucoup de retard dans leur accession aux compétitions sportives. Aux Jeux olympiques de 1928, soit 30 ans après les hommes, le grand public découvre pour la 1ʳᵉ fois des sportives de haut niveau sur les pistes d'athlétisme. Et là, tout se complique. On voit des femmes très robustes, très puissantes, très musculeuses, très rapides, très grandes. Et la question va se poser de... Est-ce que ce sont des vraies femmes ? Les organisateurs ont peur que des hommes se fassent passer pour des femmes et remportent les compétitions sportives. Et donc ils vont tenter de définir ce que doit être une vraie femme autorisée à concourir. C'est le début des tests de féminité. À partir de 1946, les concurrentes doivent fournir un certificat de féminité. Et dans certaines compétitions, les organisations internationales pratiquent elles-mêmes des examens parfois très intrusifs, comme à Budapest en 1966. Elles ont clairement un contrôle gynécologique. Qualifiée de parade nue, cette intrusion dans l'intimité des athlètes fait scandale. Et à partir de 1967, l'inspection des organes génitaux est réservée aux cas dits suspects. Les instances sportives se tournent alors vers un autre critère jugé moins invasif. Le CIO a décidé d'utiliser cette année des tests génétiques pour contrôler la féminité de certaines sportives de haut niveau. L'idée est simple. En théorie, dans les cellules du corps humain, la 23ᵉ paires de chromosomes détermine le sexe biologique. Une personne avec 2 chromosomes X est dite de sexe féminin, une personne avec un chromosome X et un Y de sexe masculin. Ça, c'est la théorie. En pratique, le sexe chromosomique ne suffit pas à définir si l'on est une femme. En particulier dans 2 cas. D'une part, il existe des personnes intersexes, c'est-à-dire des personnes qui ne remplissent pas l'ensemble des critères médicaux qui distinguent les corps masculins et féminins. Les cas de figure sont très nombreux. Il peut s'agir de chromosomes sexuels inhabituels, par exemple 2 chromosomes X et un Y, ou bien un X tout seul. Autrement, cela peut aussi être une variation du développement des organes sexuels, par exemple des personnes qui ont un ovaire et un testicule. Cela peut aussi être un trouble de la synthèse des hormones sexuelles telles que la testostérone ou l'œstrogène. Ou encore une sensibilité différente à ces hormones, par exemple, des personnes qui sont insensibles à la testostérone. Et ces variations ne sont pas rares. Elles concernent 1 à 2% des nouveaux-nés. Certaines sont évidentes dès la naissance, mais d'autres passent inaperçues et peuvent être découvertes au hasard d'un test de féminité. Parallèlement au cas des intersexes, il y a les femmes transgenres. Elles sont déclarées de sexe masculin à la naissance, mais s'identifient au genre féminin. Si elles le souhaitent, elles peuvent faire une transition de genre : changer leurs papiers d'identité et suivre des traitements pour féminiser leur corps. C'est le parcours qu'a suivi l'athlète française Alba Diouf et Ava Toledano, ancienne kayakiste de haut niveau. Bref, les tests génétiques ne permettent pas de déterminer avec certitude si une personne est de genre féminin. Et ils sont très critiqués. Aujourd'hui, le Comité national d'éthique et le Conseil de l'Ordre des médecins ont rappelé officiellement qu'ils étaient opposés à ce genre de tests. Ils sont progressivement abandonnés au cours des années 90. Jusqu'au jour où... C'est une drôle de question qui agite le petit monde de l'athlétisme depuis hier soir. En 2009, les performances de Caster Semenya relance le débat. La jeune Sud-Africaine, Caster Semenya, 19 ans, fait moins fille que les autres. On découvre que l'athlète est intersexe et, aux yeux de la Fédération internationale d'athlétisme, sa participation aux compétitions féminines menace l'équité. Alors, à partir de 2011, elle instaure une définition de la catégorie féminine qui s'appuie sur le taux de testostérone. Et en 2023, elle durcit son règlement avec 2 restrictions. Les sportives intersexes doivent avoir un taux de testostérone naturel inférieur à 2,5 nanomoles par litre de sang sur une période d'au moins 2 ans. Quant aux femmes transgenres... Elles sont exclues des compétitions féminines. Les fédérations internationales, et ça a été le cas de la Fédération d'athlétisme, vont s'attirer beaucoup moins de foudre en disant : bon allez, on sort toutes les femmes trans, qu'en commençant à mettre les pieds dans le plat. Mais revenons à l'inclusion des femmes intersexes dans la catégorie féminine. Pourquoi choisir d'imposer un seuil de testostérone ? Ce qu'on peut dire pour commencer, c'est que le rôle de cette hormone chez les humains est très complexe. C'est une des nombreuses hormones impliquées dans le développement des caractéristiques sexuelles masculines. Après la puberté, elle est sécrétée en plus grande quantité par les hommes que par les femmes. Pour la Fédération d'athlétisme, elle est le critère idéal. La testostérone serait à l'origine des avantages physiques dont bénéficient les athlètes masculins et suffirait à expliquer la différence considérable entre les sexes en termes de performances sportives. Sauf que ces critères suscitent de nombreuses critiques. Tout d'abord, il n'y a pas de consensus scientifique sur l'effet de la testostérone naturelle sur les performances. Dans ce livre, qui étudie l'ensemble de la littérature scientifique autour de la testostérone, la confusion est bien résumée. "La variation artificielle du taux de testostérone chez une athlète peut affecter ses propres performances, mais cela ne signifie pas pour autant que le taux de testostérone naturelle est le responsable des différences de performance entre les athlètes." Ensuite, le règlement de 2023 ne semble pas introduire plus d'équité. Les performances des athlètes intersexes sont comparables à celles des autres femmes et aucune n'a battu le record du monde féminin dans sa discipline. En l'état actuel des résultats, leur participation ne semble donc pas remettre en question l'équité au sein de la catégorie féminine. Par contre, pour être autorisée à concourir, certaines athlètes intersexes seront obligées de prendre des traitements pour maintenir leur taux de testostérone en dessous du seuil imposé. Ce qui peut avoir de graves conséquences pour leur santé : dépression, fatigue, ostéoporose, faiblesse musculaire, ce qui, pour le coup, peut créer une inéquité. Enfin, ce règlement met en place des inégalités de traitement. Il exclut les femmes transgenres, quel que soit leur taux de testostérone. La tendance qu'on voit, c'est qu'une femme trans qui a un traitement hormonal de substitution depuis un certain temps. Encore une fois, ça dépend du traitement hormonal. On a des taux de testostérone qui sont en dessous, voire bien en dessous de la moyenne des femmes cis. Et le règlement vise également les femmes qui ont une variation du développement sexuel répertorié dans cette liste. Toutes les autres athlètes ont le droit de concourir, même si leur condition entraîne un taux de testostérone sanguin supérieur aux taux habituellement rencontrés chez la femme. L'ONU a alerté la Fédération sur les effets de ces critères qui légitime la surveillance de toutes les athlètes sur la base de stéréotypes liés à la féminité et expose notamment certaines femmes à des conséquences bien plus graves que l'impossibilité de concourir. C'est ouvrir la porte à plus de discrimination. Comme le sport est censé être universel, on peut remettre leur place en question dans toute la société de manière générale. Malgré tout cela, pour les Jeux Olympiques de Paris, le règlement de la Fédération internationale d'athlétisme reste en vigueur pour les athlètes souhaitant courir dans la catégorie féminine. Je pense que la problématique, ce ne sont pas les femmes trans, ce ne sont pas les femmes inter, c'est la domination masculine qui s'opère et qui continue à s'opérer dans l'histoire du sport, dans l'accès des femmes au sport et qui est encore très, très actuelle et contemporaine.

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