Sébastien Dulude - La révélation de la rentrée littéraire

Published: Sep 03, 2024 Duration: 00:12:06 Category: Entertainment

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- A.Trapenard: "Si on lisait à voix haute". "La Grande Librairie" fait sa rentrée, en direct et en public, pour sa 17e saison. Je voudrais vous présenter un extraordinaire écrivain. Vous savez à quel point les nouveaux romans sont importants pour moi. J'ai envie de les porter chaque semaine. Ce 1er roman s'appelle "Amiante". Il est publié chez La Peuplade, maison d'édition québécoise. S.Dulude est éditeur et poète. Ce livre est sa 1re incursion dans le roman. Vous nous transportez dans une ville intéressante du Canada, la ville de l'industrie de l'amiante, Thetford Mines. On utilisait l'amiante comme isolant. C'est toxique. Qu'est-ce que ça représente? - S.Dulude: Le potentiel de la matière m'est apparu. Quand on habite dans cette ville, c'est une donnée de base. Je suis arrivé dans cette ville quand l'industrie était sur le déclin. J'y ai grandi. Je suis arrivé à 6 ans. J'en suis reparti à 16 ans. Ce sont des années d'enfance essentielles. On voyait les résidus de l'amiante, ces collines grises, un peu lunaires que l'on finit par oublier. C'est ce qu'on appelait les "dumps". - A.Trapenard: Quelles sensations vous reviennent quand vous regardez ce paysage? - S.Dulude: Il faut que j'aille chercher assez loin. C'est par une mémoire émotive et corporelle... Ce sont des territoires immenses. Ce sont des collines désertes. Ca nous appelait. On voulait se sentir comme des bonhommes allumettes au sommet de ces trucs-là. Après, il n'y a pas que ça. Ce sont des forêts. C'est une ville avec 3 régions. Il y a des forêts d'érables magnifiques, des pins... Il y a un air de liberté, d'enfance, de fraîcheur d'été. Ce sont des années où on part des journées entières dans la forêt et on revient pour souper. - A.Trapenard: J'ai envie que vous nous en lisiez un extrait. C'est un extrait que j'ai choisi. Il y a un post-it. - S.Dulude: C'est bien pensé. "L'été, dans le terrain vague entre le chemin du lac noir et la forêt des bosquets remplis de cigales auprès de petites fleurs en grappes que nous mâchions. Nous n'étions pas certains qu'elles étaient comestibles, mais nous les mâchions. Leur petite pulpe explosait dans nos bouches. Puis nous la recrachions. Le sable s'insérait entre nos orteils et nos sandales. La poussière de la ville d'amiante se soulevait sous nos pas et se fichait contre notre sueur. Nos mollets étaient couverts de ce talc que l'on dit cancérigène." - A.Trapenard: Vous parvenez à infuser une inquiétude, une violence au sein de la phrase. Quelle violence se raconte? - S.Dulude: C'est un territoire regardé par les yeux d'un enfant très anxieux. Il a un tempérament à réfléchir en panique. Après, les amitiés font en sorte qu'on a un peu plus de courage. Il y a l'envie de transgresser. La mine est fermée une journée par semaine. Les bandes de gamins font les 400 coups. - A.Trapenard: On est dans cette ville de Thetford Mines en 1986. C'est l'été. Il faut imaginer 2 enfants de 9 et 10 ans qui filent à vélo à travers des paysages lunaires. Ils passent leur après-midi à lire des albums de "Tintin" dans la cabane qu'ils ont construite. C'est le temps de l'amitié et d'une certaine innocence, de la liberté, d'une liberté inouïe. Dans les années 80, à Thetford Mines, qu'est-ce qui rendait possible cette liberté de 2 enfants? - S.Dulude: Les vacances scolaires. C'était une époque où on était facilement à l'abri des adultes. Il y avait ces grandes préoccupations économiques qui travaillaient la psyché collective. Les enfants, c'était "ouste". A 9 ans, j'avais envie de revisiter ce sentiment de solitude. Ce quartier où j'habitais était en périphérie de la ville. Il est isolé du centre urbain. J'ai plusieurs amis trop loin pour y aller en vélo. C'est l'idée de créer un refuge avec mon meilleur ami dans une cellule à l'abri de tout. - A.Trapenard: Il vient juste de parler de l'amitié comme un territoire, comme un espace. - M.de Kerangal: Avec la cabane, qui est l'espace principal, presque. C'est un roman extrêmement sensible et délicat. S.Dulude est très précis sur l'amitié entre Steve et le petit Poulin. L'écriture rend justice à cette rencontre. D'ailleurs, la scène de rencontre est géniale. Le jour où il arrive, il voit Charlélie qui tourne vers lui son petit museau. Il y a quelque chose d'extrêmement sensible. C'est un livre assez merveilleux. Il est construit en 2 parties. Il y a une grande photo en double page au milieu du livre. Ces 2 parties, ce sont les 2 revers de la médaille. Dans la 1re partie, on est dans cette enfance enchantée, dans ce milieu tellement particulier de la ville minière, dans ces quartiers ouvriers. L'autre partie, c'est là où s'ouvrent une colère et une violence beaucoup plus fortes. Vous avez parlé des 2 revers de l'amiante. C'est comme si l'amiante donnait sa structure poétique au récit lui-même. - A.Trapenard: On ne peut pas tout raconter. - M.de Kerangal: Pas du tout! Je n'ai pas spoilé! - A.Trapenard: Sans rien révéler, on peut dire qu'il va y avoir une catastrophe, un accident. Cette amitié va possiblement se briser. On va passer à une tout autre atmosphère, à de la colère. Qu'est-ce qui vous met en colère, S.Dulude? - S.Dulude: C'est tout à fait conséquent à un sentiment de peur. Ca répond à un besoin quand on ébranlé dans nos certitudes, dans notre sécurité. La seule riposte, c'est d'être enragé à l'intérieur, de bouillir à l'intérieur, de fantasmer des scénarios de riposte, de protection. Après, on extériorise la colère parfois au mauvais moment. C'est une émotion qui a mauvaise presse, qui est mal taxée. La seule colère justifiable serait l'indignation. Pour moi, c'est un mécanisme de protection. Après, il faut savoir protéger les autres, aussi. Tout met en colère quelqu'un qui a développé cette habitude d'intérioriser ces situations intenables. C'est un mode de regard sur le monde, la colère. - A.Trapenard: Vous parlez de vous, là? - S.Dulude: Un peu. Mais j'ai une personnalité qui a des contraires assez forts. Il a un certain flegmatisme. Ithylisme. Il y a aussi un aspect très zen dans ma personnalité. Je suis plus intéressé par l'entre-deux. Je laisse faire l'expérience. On arrache le narrateur pendant 6 ans. Qu'est-ce qu'il y a entre ces 6 années? C'est au lecteur de l'extraire. - A.Trapenard: J'ai remarqué que c'est un livre que vous dédiez à votre fils. - S.Dulude: Tout à fait. C'est un livre qui m'a confronté sur le rapport familial. Steve est un enfant qui subit de la violence à la maison de la part du père. Il y a cette idée d'une filiation de violence qui s'explique socialement par toutes sortes de facteurs. Le rapport avec mon fils, c'est d'une extrême tendresse. Je pense que je voulais dire qu'il y a moyen d'avancer au-delà des réflexes de ce qui est transmis de manière plus difficile, surtout dans le contexte d'une violence économique qui se transmet sur les familles. Il y a moyen de sauter un peu plus loin. - M.de Kerangal: Il y a une réflexion, la façon dont le personnage du père et dont les hommes sont envisagés, sur la virilité. - A.Trapenard: Dans cette amitié masculine surgit une ambiguïté. - S.Dulude: A cet âge-là, si tu n'as pas encore le discours social qui te dit: "On ne peut pas agir comme ça entre garçons", ce sont les pulsions qui vont prendre le pas. S'ils ont envie de faire la sieste collés, ils vont le faire. Ils sont hors des normes, de l'hétéronormativité, de la désapprobation du père sur comment un enfant se développe. Je voulais explorer l'innocence à son paroxysme pour explorer son contraire quand on fait exploser cette protection,

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