Dissolution : les coulisses du pari fou d’Emmanuel Macron

Dissolution. Pour la sixième fois dans l'histoire de la Vᵉ République, un président appelle à de nouvelles élections législatives en cours de mandat. Pourquoi cette décision ? "Nous venons là déchirer l'hypocrisie et les malentendus qui étaient à l'œuvre." "J'assume totalement d'avoir déclenché un mouvement de clarification." "D'abord parce que les Français nous l'ont demandé." Les Français, mais pas que. À l'Élysée, le scénario d'une dissolution mûrie depuis des semaines, y compris au sein d'un petit groupe de conseillers à l'influence grandissante. Plongez dans les coulisses d'un pari politique inédit et risqué. Cette idée de dissolution, c'est quelque chose qui est en germe depuis le premier jour du quinquennat, depuis que l'Assemblée nationale a donné une majorité relative à Emmanuel Macron. Beaucoup plaidaient plutôt pour une dissolution à l'automne, au moment des débats sur le budget, parce qu'à ce moment-là, le gouvernement risquait d'être mis en minorité. En tout cas, qu'une motion de censure soit votée par les oppositions à l'Assemblée nationale sur le budget. Sauf que là, Emmanuel Macron a pris un peu tout le monde de court. Le dimanche après-midi, il a pris cette décision choc de dissoudre dès le soir des élections européennes. C'est du jamais vu. On n'a jamais vu une dissolution se passer dans la foulée d'une élection, d'une défaite électorale. Il a vraiment pris tout le monde de court dans son entourage, au sein du gouvernement et jusqu'au Premier ministre. Après cette défaite vraiment cuisante de la majorité aux élections européennes, Emmanuel Macron se doit de réagir. Il doit avoir une initiative politique. Il ne lui reste que trois ans de mandat présidentiel. Il ne peut donc pas rester les bras ballants, parce qu'il sait que là va s'ouvrir une nouvelle séquence, celle de sa succession. Il va y avoir Édouard Philippe, Bruno Le Maire, Gérald Darmanin et d'autres, potentiellement, qui vont commencer à contester son autorité. Lui, par ce coup de théâtre, leur coupe l'herbe sous le pied, les empêche de sortir du bois et au contraire, les oblige à une forme d'union derrière lui, en agitant à nouveau la peur de l'extrême droite et aussi, maintenant, la peur de ce qu'il appelle l'extrême gauche, et donc d'enclencher une nouvelle séquence dans laquelle il est encore maître du jeu pour quelque temps. Cette hypothèse de la dissolution a été travaillée évidemment dans le plus grand secret, parce que c'est quelque chose qui ne doit pas fuiter. Sinon, son effet politique disparaît. Il faut savoir qu'Emmanuel Macron, c'est quelqu'un qui décide seul. Évidemment, il y a des gens qui le conseillent. Il va consulter les uns et les autres : ses conseillers, des ministres, les élus, même parfois des gens extérieurs à l'écosystème politique. Mais à la fin, c'est lui qui décide. Donc, cette décision de la dissolution de l'Assemblée nationale, c'est vraiment la sienne. Ensuite, il est apparu qu'il y a une petite bande de conseillers qui a cherché à endosser l'idée de cette dissolution. En tout cas, qui a laissé entendre qu'ils étaient derrière cette idée-là. Il y a notamment Bruno Roger-Petit, qui est conseiller mémoire d'Emmanuel Macron depuis 2018. Il y a également Jonathan Guémas, son ancienne plume, qui écrivait ses discours. Aujourd'hui, il est devenu conseiller spécial en charge de sa communication et de sa stratégie. Il y a son ancien conseiller spécial, Clément Léonarduzzi, qui lui, maintenant, travaille chez Publicis en tant que communicant. Il y a enfin Pierre Charon, un ancien sénateur Les Républicains, qui a été proche de Nicolas Sarkozy. Ces hommes-là, on les retrouve dans cette décision de la dissolution. Une fois la décision annoncée, ils se sont répondus dans la presse, dans des off, avec parfois une espèce de confiance en eux assez frappante, où ils nous racontaient que cette décision était une stratégie mûrement réfléchie depuis des mois et que c'était un petit cénacle qui avait vraiment mûri ça. Cette bande, souvent résumée comme étant la Bande des mousquetaires, ou la bande de BRP pour Bruno Roger-Petit, essaie d'influencer le quinquennat d'Emmanuel Macron, le déroulé de son action, dans un sens particulier qui est fait de coups politiques. C'est là le jeu qui se joue en coulisses, où chacun est persuadé d'avoir la bonne réponse. En tout cas, aujourd'hui, ceux qui sont écoutés, c'est clairement la bande de BRP. Dans cette bande, Bruno Roger-Petit a une place un peu à part. C'est un compagnon de route d'Emmanuel Macron depuis sa campagne présidentielle de 2017. À l'origine, Bruno Roger-Petit était son porte-parole. C'est un ancien journaliste qui a travaillé longtemps à France Télévision, puis à Challenges. Il a vu très vite son étoile pâlir, parce qu'il a eu à gérer l'affaire Benalla en tant que porte-parole. Il est resté le souvenir d'une vidéo assez malencontreuse, en tout cas assez ratée. Il a été immédiatement convoqué par le directeur de cabinet du président, qui lui a notifié une sanction disciplinaire. Il vit quelques mois de traversée du désert. Petit à petit, il a réussi à remonter la pente. Il a réussi à créer une petite bande autour de lui, qu'il a réunie dans des dîners qu'il appelle des dîners Charasse, du nom de Michel Charasse, ancien ministre de François Mitterrand, qui était son conseiller et son gardien des secrets. Bruno Roger-Petit vit aussi dans l'idée qu'il pourrait être le Charasse d'Emmanuel Macron. Donc, il a réussi à fédérer autour de lui une petite bande de gens qui aiment la politique à l'ancienne. Dans ces dîners Charasse, le but était aussi de recevoir. Il recevait des personnalités extérieures à la Macronie : des élus, des députés, des intellectuels aussi. Avec eux, ils essayaient à la fois de capter l'humeur de la société, mais aussi de trouver les voies et moyens pour élargir la base d'Emmanuel Macron. Bruno Roger-Petit, lui, vient de la gauche. À l'origine, il se revendique comme mitterrandien. Mais il est fasciné par le folklore de l'extrême droite, par son histoire, par ce courant. Bruno Roger-Petit est dans l'idée qu'il fallait trianguler avec la droite. Trianguler, ça veut dire, en gros, venir sur le terrain de l'adversaire, en épousant parfois ses thèmes, ses références, ses grandes figures. Il était très favorable au fait qu'Emmanuel Macron réalise une grande interview à Valeurs Actuelles, un magazine d'extrême droite sur les thèmes de l'immigration et l'islam. Ça, c'était en 2019. Il a déjeuné avec Marion Maréchal pour essayer de comprendre un peu ce qu'elle avait dans la tête, ce qui se passait au sein de l'extrême droite, avec la famille Le Pen. Il entretient toujours une relation assez nourrie avec la chaîne CNews de Vincent Bolloré, qui paraît très proche de l'extrême droite. Si cette fracturation s'opère à la face de la France dans ce qui est aujourd'hui la droite, alors là, Emmanuel Macron aura réussi son coup. Son coup, ce n'est pas de faire exploser Les Républicains. Son coup, c'est de les fracturer. Ordre, ambition, respect. On est clairement sur des marqueurs de droite. Ça conforte les stratèges de l'Élysée dans l'idée qu'il faut continuer à aller de ce côté-là, malgré la faiblesse du résultat de leur propre candidate aux élections européennes. Depuis dimanche soir, les masques tombent. Ce moment est celui de la clarification. On est plutôt dans le chaos, avec une droite extrême qui se réunit. On a vu aussi Éric Ciotti qui a voulu faire alliance avec le RN. Sauf que l'ensemble des cadres de LR ne le suivent pas. À gauche, il y a une union qui se fait, mais on ne sait pas à quel point elle va durer. Et surtout, on a l'impression que tous les codes politiques traditionnels sont complètement mis à bas. On ne sait plus, finalement, comment vont fonctionner ces institutions, parce qu'on s'avance éventuellement vers une cohabitation avec l'extrême droite, et ça va clairement tout remettre en cause.

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