Le président de la République
aurait d'ailleurs eu sûrement un meilleur score pour ses couleurs
à l'issue d'une telle dissolution. Tandis que là, il est évident
que demander aux Français de s'exprimer une 2e fois pour dire
ce qu'ils venaient de dire ne pouvait pas mener à grand-chose
d'autre que ce que nous avons. - A.-E.Lemoine: Ca fait
du président de la République un ange déchu de la politique? Il a perdu la main? - J.-M.Blanquer: C'est
une métaphore. En politique, on n'a jamais perdu
la main. Mais les législatives ne lui
ont pas donné une majorité. - A.-E.Lemoine: Patrick a lu
votre livre. C'est une plongée dans les arcanes
du pouvoir que vous nous proposez. C'est l'objet de l'édito
de ce soir. Patrick, vous avez donc lu
ce livre? - P.Cohen: Il est dense
et fascinant. Il raconte en parallèle
2 descentes aux enfers, celle d'un président flamboyant,
aujourd'hui rejeté, et celle d'un de ses mousquetaires
les plus loyaux, ministre favori tombé en disgrâce et renié après
avoir été annulé, c'est vous. Il y a dans votre récit un mélange
courant de hauteurs de vues et de basses politiques, de mûres
réflexions et de paires de baffes. A la rubrique
"rentrée des claques", vous avez connu un succès
avec l'exécution de votre prédécesseur
à l'Education nationale, F.Bayrou. Mais tous vos portraits n'ont pas
la même acidité. B.Le Maire, E.Philippe, J.Castex,
il y a de la nuance et de la douceur dans votre regard,
parfois de l'affection comme pour G.Collomb. Vous dénoncez surtout dans la 2e
partie de votre livre un système de pouvoir
de plus en plus concentré depuis la crise du covid. Une citadelle qui isole et enferme, qui pratique godille et zigzague. Pourquoi, en 7 ans,
tout s'est détraqué? Pourquoi ce président séducteur
et conquérant semble passer son temps à brûler ce qu'il a adoré
et à se faire détester de ceux qui l'ont aimé? On trouvera dans ce livre
un certain nombre d'explications et de réponses. Il y a bien un mystère Macron
qui vous interroge. Au début de notre lune de miel,
un exemple: au lendemain de la victoire des Bleus
au Mondial 2018, ce car qui dévale les Champs-Elysées
et prive le public d'un moment de communion
et de liesse tandis qu'à l'Elysée, tout est à l'avenant. Pourquoi J.Chirac, qui se fichait
du football, avait-il réussi à apparaître comme le père
d'une nation rassemblée? Et pourquoi E.Macron, authentique
amateur de football, capable de séduire une lanterne
ou un lampadaire, opérait l'alchimie inverse en donnant
le sentiment d'une appropriation, d'une arrogance, une faute de goût? Comme début de réponse, vous citez
cette photo: il se déhanche en tribune sur un but tricolore. Selon vous, il rappelle davantage
la figure d'un broker qui vient de réussir un bon deal
à Wall Street. On n'attendait pas
de vous ce que fait depuis longtemps une certaine gauche,
réduire E.Macron à son ancienne condition
de banquier d'affaires. - A.-E.Lemoine: Il y a aussi
la défense vigoureuse d'un bilan? - P.Cohen: Oui, notamment
avec la réforme du bac, la gestion du covid,
12 semaines seulement de fermeture des classes en France
alors que partout ailleurs, c'était beaucoup plus long... La défense de la laïcité
et des valeurs républicaines... J'ai été frappé
par la juxtaposition de 2 souvenirs dans votre livre. Le premier est lié
à l'une de vos toutes premières interventions
à l'Assemblée nationale en novembre 2017:
vous êtes interrogé sur les réunions en non-mixité
raciale organisée par le syndicat Sud éducation. Votre voix est mal assurée,
mais l'Assemblée vous écoute dans un silence que je qualifierais
de religieux s'il n'était pas question de laïcité. Vous annoncez des poursuites. Vous dites que sous prétexte
d'un antiracisme, ils véhiculent un racisme. Applaudissements debout
sur les bancs, à droite et à gauche. J'ai été surpris moi-même
en revoyant cette séquence. Mais vous écrivez: "Plus jamais
en 5 ans, je ne verrai l'Assemblée nationale debout
pour applaudir mon propos." En septembre 2020,
après l'assassinat de S.Paty, vous prononcez au Sénat
une accusation qu'une partie de la gauche et des milliers
milieux universitaires ne vous pardonneront jamais. - J.-M.Blanquer: Il y a
des courants islamo-gauchistes très puissants qui commettent
des dégâts sur les esprits et cela conduit
à certains problèmes que vous êtes en train
de constater. - P.Cohen: De ce jour,
vous êtes devenu "un épouvantail réactionnaire". Comment expliquez-vous
cette évolution? La vôtre, qui vous conduit
à accuser une partie des personnels dont vous avez la charge
et des politiques qui vous conspuent en 2020 après
vous avoir acclamé 3 ans plus tôt? - J.-M.Blanquer: Le livre permet
justement de comprendre ma propre évolution mentale
et psychologique, ainsi que l'évolution
de ceux qui nous entourent. Les choses se tendent, à un moment. Le livre décrit aussi les crises
qu'il faut traverser, les "gilets jaunes", le covid et l'assassinat
de S.Paty... C'est une crise en soi
qui nous a meurtris. Il y a eu un avant et un après. L'image que vous avez montrée... C'était celle d'une fausse
unanimité. C'est un peu comme les attentats
déjoués...