#MeToo : se fier aux accusations ou attendre la justice - C à Vous - 10/09/2024
Published: Sep 10, 2024
Duration: 00:17:07
Category: Entertainment
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Doit-on nommer à la moindre
accusation? Vous abordez ces questions
avec davantage de doutes que dans d'autres de vos ouvrages. Plutôt que des principes,
vous délivrez des intuitions, des astuces. Il y a aussi du guide pratique
dans ce livre à mettre entre toutes les mains. - A.-E.Lemoine: On voit
bien le rappel que fait Patrick. Si cette précision est nécessaire,
sur le fait que c'est le livre d'une féministe engagée, c'est
parce que vous savez qu'évoquer les excès de MeToo, les mettre en lumière,
c'est prendre le risque d'être récupéré par ceux
qui jamais n'ont accepté le mouvement, voire d'être accusé
d'être complaisant avec eux. - C.Fourest: Je ne les laisserai
pas faire. C'est le combat de ma vie. Je suis ravie de cette révolution. J'ai été ébahie de voir
que des conversations que j'avais adolescente
avec mes amis et mes camarades de classe étaient enfin devenues
publiques. J'ai envie qu'on la continue
et qu'on l'affine pour éviter d'autres injustices. Je suis aussi devenue féministe
car je ne supporte pas l'injustice. Après une première partie
de ma vie, peut-être la plus longue... Au collège, à 12 ans,
une camarade de classe pleure et nous confie que son père
ne se comporte pas comme se comportent les pères
avec leurs filles. On le signale à la direction
de l'établissement et elle est mise à l'abri. Sa famille va exploser. Je comprends quelque chose
de très brutal. J'obtiens des confidences. A chaque fois que j'ai une amie,
que je me rapproche de femmes, je reçois des confidences
incroyables avec souvent une agression sexuelle
dans ce parcours. A 20 ans, ça m'a donné une vraie
colère. Je suis devenue militante féministe
mue par cette colère. Par la suite,
j'ai dénoncé des viols au sein de l'Eglise catholique
et des prêtres me disaient que ça n'existait pas. Les viols de T.Ramadan... Ca m'a coûté assez cher. Il y a eu des intimidations
et peu de solidarité de la part de certaines féministes aujourd'hui
très actives sur des micro-vexations sexistes
mais peu actives pour soutenir les victimes quand il y a
un vrai prédateur en face qui intimide
celles qui osent parler. J'ai aussi vécu ces dernières
années des choses étonnantes. Si ce n'est pas une féministe
qui dit qu'on n'est plus dans MeToo mais dans l'abus de pouvoir,
l'instrumentalisation, le dégagisme, on n'est
plus dans une volonté sincère de protéger des victimes, il vaut mieux que ça vienne du camp
féministe que du camp des anti-MeToo. L'histoire du collectif 50/50
est assez claire. Je n'étais pas à la soirée. J'étais à l'assemblée générale
où s'est joué le règlement de compte après la soirée. Après, j'ai lu
tous les procès-verbaux et j'ai interrogé les gens. - A.-E.Lemoine: Une soirée
dans laquelle il y aurait eu une agression sexuelle. - C.Fourest: Avec uniquement
des militants engagés sur ces questions. Une comédienne a un différend
avec une productrice très féministe, engagée,
notamment de V.Despentes. Elles ont un différend sur le fait
d'aller fumer une cigarette. La comédienne lui dit d'aller fumer
dans la cour car une personne est asthmatique. Il y a un geste furtif pour lequel
la comédienne va déposer plainte pour agression sexuelle,
ce qui a sidéré une partie de l'association. Au nom du "je te crois
absolument"... Il n'y a pas eu de viol
dans cette pièce. Des gens qui, pourtant,
le soir même, ont dit à la personne: "Passe dessus,
c'est rien", ont été jusqu'à soutenir
l'accusation. J.Favreul a fait 72 heures de garde
à vue très dures. C'est une productrice. Elle a vécu un enfer social
derrière. Heureusement, des gens
dans le cinéma l'ont soutenue. - A.-E.Lemoine: Elle a été
blanchie. - C.Fourest: Il y a de plus en plus
de cas comme ça. Les gens se disent qu'il faut avoir
une conversation un peu plus libre sur quand c'est du MeToo... - A.-E.Lemoine: On est bien
d'accord qu'il y a des vrais MeToo la plupart du temps. - C.Fourest: Souvent, quand il y a
une dénonciation, même exagérée ou fausse, ça ne vient jamais
de nulle part. On a des études sur la mémoire
post-traumatique, sur les traumatismes liés
à l'inceste ou au viol quand on est jeune. Il existe des problèmes
avec la mémoire traumatique. A l'occasion d'un geste anodin,
ça peut réveiller un traumatisme. Il peut y avoir des accusations
déplacées, des gens qui ne peuvent pas dénoncer leurs plus proches
et qui vont peut-être dénoncer quelqu'un de moins proche. Il faut rentrer
dans cette complexité si on veut protéger
ceux qui peuvent être faussement dénoncés. - A.-E.Lemoine: Selon vous,
il vaut mieux attendre une plainte avant de médiatiser des accusations
pour éviter de ruiner des réputations, de faire vivre
ce qu'a pu vivre cette productrice finalement blanchie. La médiatisation permet
de faire éclater des affaires au grand jour. - C.Fourest: Bien sûr. Il faut la sérialité ou la plainte. Dans le cas de BalanceTonPorc,
qui a balancé le nom de T.Ramadan, ça a permis de lever le couvercle
sur des années de silence. Ca faisait 8 ans qu'à la demande
des victimes, je taisais ce que je savais. Quand j'ai essayé de présenter
l'une d'elles à un juge, elle a été menacée. Concernant l'affaire PPDA,
vous avez 30 témoignages précis qui racontent des faits
d'une gravité inouïe sur plusieurs années. Ce n'est que justice que des femmes
puissent nommer et lui faire honte. On est de plus en plus loin
de l'affaire PPDA et de l'affaire Weinstein. Dans les derniers articles
de la presse, pour continuer à peut-être vivre de ce filon,
on met des noms sur la place publique de gens qui ne sont pas
assez connus, comme l'ancien directeur du Festival de Deauville,
E.Baer, N.Bedos mis en cause pour des faits qui ne sont pas
la même chose que l'affaire Weinstein, à partir de quelques
témoignages, parfois anonymes et pour des faits qui ne sont pas de l'ordre
de la gravité qu'on a connus. - A.-E.Lemoine: Le risque,
c'est que vous dites à certaines femmes de se taire
ou de régler leurs problèmes sans les médiatiser. - C.Fourest: Je veux dire
aux journalistes la même chose que quand je leur dis qu'il faut
arrêter de résumer des affaires aussi graves
comme l'affaire I.Maalouf. Je leur demande la même précision
à propos de mon livre et de ma démarche. On connaît le degré de précision
de Patrick. C'est ça qui fait la différence
dans le journalisme, quand on prend le temps d'être précis. A aucun moment je ne souhaite
que les victimes ne cessent de parler. Je souhaite qu'on ait le droit
d'enquêter comme journaliste sur les faits, qu'on ait le droit
d'entendre l'accusé. Nous sommes devenus des jurés
malgré nous. On est convoqués tous les quatre
matins au tribunal de MeToo. Comme lectrice, si je n'ai pas lu
la cour d'appel du jugement sur I.Maalouf et simplement
des résumés dans la presse, je n'ai pas le même jugement
comme féministe que si je l'ai lu. - A.-E.Lemoine: I.Maalouf a été
accusé il y a plusieurs années d'agressions sexuelles sur mineure,
une affaire dans laquelle il a été relaxé en 2020. Il a été écarté du jury du Festival
de Deauville, la directrice du festival invoquant un malaise
dans l'équipe en lien avec le festival. I.Maalouf s'est insurgé
contre cette décision défendue par les féministes. - I.Maalouf: La directrice
du festival a décidé de me sortir du jury. - I.Maalouf: Malgré les jugements,
des gens ont du mal à accepter que je puisse être
quelqu'un de bien. - Même si la justice
dit que ni les faits ni les textes ne permettent de le condamner... La décision de justice dit aussi
à nouveau qu'il a embrassé une gamine de 14 ans. Ce n'est pas un droit
de faire partie du jury d'un festival. - A.-E.Lemoine: Qu'est-ce que
vous répondez à la présidente de la Fondation des femmes? - C.Fourest: J'ai envie
de débattre avec elle. On peut avoir ce débat entre
féministes calmement. Il faut une certaine exemplarité
pour faire partie d'un jury de festival. Quand on a proposé à quelqu'un d'en
faire partie, même si c'était l'équipe d'avant,
c'est très violent socialement de désinviter quelqu'un. Il faut que cette violence
soit justifiée. Quand on lit l'arrêt de la cour
d'appel, on voit qu'I.Maalouf n'a pas été relaxé parce qu'on n'a pas
pu prouver quelque chose. Il a été relaxé parce qu'après s'être retrouvé
dans une situation où une jeune stagiaire de 14 ans
et lui ont échangé un baiser, il a immédiatement réagi derrière. Il a appelé son équipe. On ne sait pas qui a pris
l'initiative. Cette jeune fille
s'attribue l'initiative du baiser dans son journal intime. Quand vous avez un stagiaire de 14
ans sous vos ordres, vous êtes responsable
du fait que la situation ait dérapé. I.Maalouf le dit
quand il est interrogé par la police. Il dit qu'il a trouvé
son attitude nauséabonde. Le lendemain, il appelle son équipe
et il dit qu'il y a un problème. "J'ai un cours particulier
avec cette jeune élève demain." Son assistante lui dit: "Il n'est
plus question que tu sois seul avec elle." Une jeune élève a été appelée
au dernier moment pour que le cours ne se passe pas
entre eux deux. Pour moi, c'est un fait qui compte
dans mon jugement si I.Maalouf est dangereux. J'estime qu'il n'est pas dangereux,
qu'il a bien réagi et qu'il a droit à une seconde chance. La journaliste est atterrée de voir
que personne n'est capable de rentrer dans ce détail
pour se faire un jugement parce que ça compte. S'il avait été relaxé... Je ne suis pas pour la justice
et rien que la justice. Je veux être dans le détail
de l'instruction, me faire un avis sur si quelqu'un
présente un danger. Si j'avais le sentiment
qu'I.Maalouf avait été relaxé parce qu'on n'avait pas pu prouver
les faits, mais qu'il restait un parfum compliqué,
je n'aurais pas la même attitude. - E.Tran Nguyen: Il y a aussi
la question du malaise. Ce que dit A.-C.Mailfert, c'est que c'est un adulte qui a
embrassé cette mineure de 14 ans. - C.Fourest: Est-ce qu'on a droit
à une seconde chance quand on a reconnu ses torts
et qu'on a réagi pour qu'une situation ne dérape pas. Des hommes qui réagissent
pour qu'une situation ne dérape pas,
ça reste encore rare. Si on double-sanctionne quelqu'un
qui a été relaxé et qui a plutôt bien réagi... Si, quand ils réagissent bien,
on les punit 2 fois après 6 ans d'enfer et de traversée judiciaire,
quel est le signal qu'on envoie comme féministe? Ca ne peut pas évoluer. Je reviens sur un autre cas. Il y a aussi un féminisme
à indignation variable qui va juger les faits non pas
en fonction de la gravité, du risque de récidive
et de la réaction de la personne concernée, mais selon l'étiquette politique,
si la personne est racisée ou non. A.Quatennens, sur lequel je peux
porter un jugement politique assez dur,
est quelqu'un qui fait partie d'un parti brutal politiquement. Il a eu un geste brutal
dans sa vie privée, une gifle à sa compagne au moment
d'un divorce conflictuel. Il l'a reconnu. C'est ce qui fait que sa compagne
n'est pas passée pour une menteuse. Il a été condamné. Ils étaient deux. Il pouvait nier. Je pense qu'il a droit
à une seconde chance, de retourner à l'Assemblée nationale. Après, on vote ou pas pour lui
selon ce qu'on pense de lui. Si on sanctionne socialement,
par des mises à mort, des gens qui n'ont pas bien agi
mais ont essayé de réagir, quelle différence on fait avec ceux qui mentent, mettent
en place des systèmes de prédation et s'en sortent? Il faut être juste. Le féminisme, c'est l'école
du contre-pouvoir. Ce n'est pas l'école de l'abus
de pouvoir. Ce matin, j'ai eu un échange
avec une auditrice de France Inter victime qui n'a pas lu mon livre. - P.Cohen: Qui ne comprenait pas
votre démarche. - C.Fourest: Je sais
que je vais devoir affronter cette incompréhension. Ca va être un peu dur. Le combat pour les victimes de viol
est le plus important pour moi. Vous avez cité F.Flament. J'ai soutenu T.Banon
quand elle était seule face à DSK. J'ai vu ce qu'elle se prenait
dans la figure et on n'était pas beaucoup à côté d'elle. F.Flament a eu le courage
de dénoncer D.Hamilton qui l'a violée quand elle avait 13 ans. Elle dit
que toutes les violences sexuelles et sexistes ne se valent pas. Ce n'est pas la même chose
d'être violé à 13 ans que de recevoir
une proposition déplacée quand on est adulte. - A.-E.Lemoine: Qui peut choquer. - C.Fourest: Allons au bout
de la précision. Je ne suis pas en train de dire
que quelqu'un qui fait une proposition sexuelle déplacée
sur le lieu de travail ne mérite pas une convocation, un signalement et qu'on lui remette
les idées à l'endroit. Je l'ai fait toute ma vie. Je continuerai de le dire
à des fins de le faire. La sanction ne peut pas être
la même que quand on dénonce un prédateur
comme H.Weinstein, PPDA. - E.Tran Nguyen: Il y a des femmes
qui ont peur de prendre la parole. Il faut qu'elles fassent attention
à ce qu'elles dénoncent? - C.Fourest: Je leur dis
de continuer à parler. Je m'adresse aux journalistes
et à mes confrères. Je suis féministe,
réalisatrice et journaliste, 3 casquettes qui n'ont pas arrêté
de se disputer pendant l'écriture du livre. En tant que féministe, je dirai
toujours aux femmes de parler. Je dis aux journalistes et aux gens
qui doivent médiatiser des noms connus de se poser
la question de l'impact et d'avoir, comme Albert Camus
nous le conseillait, la conscience intranquille
et la main qui tremble. Est-ce qu'on doit médiatiser
le nom d'une personnalité sur témoignage anonyme sans plainte pour des faits
qui ne sont pas d'ordre parfois légal. On commence à voir
des gens médiatisés pour des faits qui ne relèvent pas de la justice. Est-ce qu'on n'est pas en train
de tomber dans le sensationnalisme. Il faut que les femmes
et les victimes parlent, qu'on élève la conversation. Je leur dis qu'il faut être
costaud. Ne croyez pas
que parce qu'on a toutes ces conversations sur le cinéma
et les médias que le monde est plus doux. L'affaire Mazan nous le rappelle. Pourquoi on médiatise des cas... Il y a des gens
qui perdent leur boulot... Pendant ce temps, la jeunesse
se jette sur des pornos d'une violence absolue. La soumission chimique explose. Des étudiantes doivent mettre
la main sur le verre pendant toute la soirée pour ne pas
qu'on leur mette du GHB dedans.