Repos, dans votre garde,
gagnez votre emplacement. Monsieur le président du Sénat,
Madame la présidente de l'Assemblée nationale,
Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs
les Parlementaires, Madame la présidente du
Conseil régional, Monsieur le Grand chancelier,
Monsieur le chef d'État- major des Armées,
Monsieur le directeur général de la Gendarmerie nationale,
Monsieur le Préfet, Mesdames et Messieurs en
vos grades et qualités, chère famille, chère Delphine, cher Ryan,
chère Éva. Vous, les frères d'armes du
maréchal des logis- chef Arnaud Blanc,
vous sa famille, sa compagne et ses enfants, les derniers jours que
nous venons de vivre [INAUDIBLE] pour ne pas oublier,
de ceux qui gravent leur date dans nos cœurs
en lettres définitives. La mission contre l'orpaillage
illégal du 22 mars 2023, pourtant, ressemblait
à toutes les autres, avec les risques et les
difficultés qui sont le quotidien, depuis 15 ans, de la soixantaine
de gendarmes et des centaines de militaires des forces armées
de l'opération Harpie. Il y a 9 jours, mercredi, 10 d'entre eux furent
déposés par hélicoptère au milieu de la jungle guyanaise. Leur but : démanteler un de ces
camps d'orpaillage illégal où l'on ne trafique pas seulement l'or,
mais la drogue, les médicaments, les armes et même
les humains. Des femmes prostituées,
des enfants asservis, des migrants clandestins dont on
exploite le malheur par la menace et le chantage, du mercure déversé dans nos
fleuves pillés et souillés, une forêt saccagée et des
populations contaminées. Pour y parvenir, il faut approcher les garimpeiros
par surprise, et franchir des kilomètres dans
la moiteur de la jungle, chargé et armé,
à l'écart des sentiers. Après 2 jours de marche,
le vendredi soir, nos hommes établissent leur
dernier campement à un kilomètre du village visé. Ils ont prévu de se relever à 1 h
du matin et de franchir en silence le dernier kilomètre,
aux jumelles de vision nocturnes pour que l'effet de surprise
soit total. À l'aube, ils abordent
les habitations. Arnaud Blanc est en tête,
lui qui vient d'être promu chef de groupe 3 semaines plus tôt. Deux par deux, ils sécurisent sans encombre
le premier baraquement. Dans le deuxième,
il semble n'y avoir qu'une femme endormie dans un hamac mais, soudain, les détonations
éclatent. Deux orpailleurs dissimulés
viennent d'ouvrir le feu. Arnaud Blanc riposte jusqu'à la
dernière balle de son chargeur et, dans l'échange de tirs,
il est frappé par deux fois et s'écroule. Ses camarades accourent,
l'évacuent et le secourent, c'est déjà trop tard. Il est 5 h 20. C'est avec le deuil au cœur que
la nation s'incline devant cette vie magnifique qui s'est
interrompue sur la glaise au bout de 35 années, alors que l'aube pâlissait à
peine le ciel de Guyane. Ses camarades sont là pour
le porter et le raconter, décrire ses qualités de
gendarme et d'âme, son perfectionnisme, sa profondeur, sa gaieté,
cet alliage unique de sérieux et d'humour,
cette manière de braver le danger, la pudeur du courage,
cette irrévérence taquine, la modestie du respect profond
et de la loyauté absolue. Celui qu'on surnommait Blanca
avait bien l'âme d'un soldat de la France, souriant et libre,
comme sur son dernier cliché, comme toujours. Un sourire comme choix,
un étendard, un refus de la plainte, un sourire comme legs. Oui, en l'accompagnant en ce jour, c'est ce viatique que
nous reconnaissons. Il nous lègue son amour
pour la France, pour la Guyane, région
hors-normes, qu'il avait appris à découvrir, à aimer et qu'il
avait choisie, à son tour, en demandant à y
rester une cinquième année. De la Charente à la Provence, des Dombs à la Dordogne, il avait [INAUDIBLE] de proximité. Il avait quadrillé une partie de
la Savoie en peloton de surveillance et d'intervention, il avait formé ses camarades à
Rochefort et à Saint-Astier, puis il avait réussi l'éprouvante
sélection du GIGN et était nommé à Cayenne,
pour se dépasser encore. Tireur d'élite, devenu conducteur de
véhicule blindé, secouriste confirmé,
expert en pirogues, il nous lègue aussi son engagement
pour la nation, sa volonté de la défendre. Il avait compris que la noblesse
de son uniforme était de pouvoir protéger chacun,
en rempart du droit, en soldat de la loi,
jusqu'au bout. Oui, nous avons désormais une
dette d'engagement envers lui, pour reprendre ce à quoi
il avait dédié sa vie : servir et protéger. Cet engagement que nous devrons
poursuivre à sa place, c'est aussi celui de soutenir
sa compagne, Delphine, tant aimée,
et ses enfants si jeunes, puisqu'il n'est plus
là pour le faire. Ryan et Éva seront pupilles
de la nation, enfants de la République, car la République n'oublie pas. En cette heure,
nous pensons aux morts de l'opération Harpie qui,
depuis quinze ans, sécurisent sans trêve la Guyane. Nous pensons au sapeur
Brice Caron, de la brigade des sapeurs-pompiers
de Paris, mort avant-hier à Kourou, dans l'embardée de son véhicule. Mes pensées vont à sa famille,
à ses proches et à ses frères d'armes blessés, à son unité. Nous pensons à nos membres
des forces de l'ordre, à nos soldats tombés en service,
en missions de cohésion, de protection, de défense. Le prix incommensurable de
l'existence qu'ils ont offerte nous rappelle la valeur de ce à
quoi ils l'ont donnée et l'attachement que nous devons
avoir à faire vivre, à leur suite, la promesse républicaine,
partout sur notre sol. Major Arnaud Blanc, en partant vers la mission qui
allait vous être fatale, vous avez écrit un message
à vos camarades, restés à Cayenne. Vous aviez gardez en tête
que la section 1, votre section, était rentrée les
mains vides de son expédition précédente,
sans avoir saisi quel que matériel que ce soit. Aussi aviez-vous lancé,
dans l'hélicoptère qui décollait : "je pars sauver l'honneur de la section 1." Mais ce samedi-là, 25
mars 2023, Blanca, vous êtes tombé, en défendant l'honneur
de la France, et c'est en son nom, en ce jour,
que je vous remets les insignes de Chevalier de la Légion d'Honneur. Vive la République ! Vive la France ! Présentez... armes ! Major Arnaud Blanc, au nom de la République française,
nous vous faisons Chevalier de la Légion d'Honneur.